Mare Nostrum l’article – 1ère partie
Du préambule et du blabla d’introduction :
Puisque mon compère Bruno Cathala a ouvert la voie avec l’article – enfin le feuilleton plutôt ! - à propos de Five Tribes, je me lance à mon tour pour raconter comment j’essaye de m’y prendre quand je commets un jeu !
Celui dont je vais vous parler est sans doute complètement spécial, tant il me colle à la peau et tant au final il me correspond assez bien. Il s’agit bien évidemment de Mare Nostrum (MN pour les intimes).
De la spécificité de celui-là plutôt qu’un autre :
Je ne renie aucun de mes jeux, qu’ils aient eu du succès ou qu’ils aient fait un flop magistral. Chacun d’eux est une aventure particulière avec ses bons moments et ses galères (dans MN ce sont plutôt des trirèmes !
)
MN est un jeu particulier et ce pour de multiples raisons :
D’abord ce jeu a toujours été là. Ça peut paraître bizarre de dire ça, mais même avant que je me décide à créer mon propre jeu et que je me lance, j’avais déjà envie de faire un jeu sur l’antiquité qui s’appellerait Mare Nostrum.
Je fais partie de cette génération qui est venue au jeu à travers Civilisation et Diplomatie. Je pense que ces 2 jeux particulièrement ont fait le joueur que je suis. Dans la création également, je considère qu’une idée ne sort jamais de « nulle part » et que, si un nouveau jeu se doit d’apporter une ou deux innovations marquantes, il n’est néanmoins que le fruit de ses fiers ancêtres. D’ailleurs si la filiation de MN avec Civilisation est évidente, celle avec Diplo peut paraître plus capilotractée. Pourtant le système de convoyage des légions à travers les mers est exactement le même dans MN que dans Diplo. Simplement dans Diplo, il fallait écrire ses ordres à l’avance et on n’était jamais sûr que la flotte chargée d’un transport serait toujours opérationnelle au moment de la résolution des ordres (système génial qui donnait tout son sel aux multiples trahisons dont le jeu était truffé).
Pour ceux qui ont eu la chance de jouer au civilisation d’Avalon Hill, ils savent qu’il n’est pas exagéré de dire qu’une partie durait au minimum une dizaine d’heures et que l’on pouvait aller parfois au-delà (mon record s’établit à 15h d’affilée!). L’idée au départ était donc simple : il s’agissait de faire un jeu qui rende très bien compte du développement et de l’expansion militaire des civilisations en restant dans une durée de jeu raisonnable pour des gens qui ne sont plus (hélas!) étudiants et qui doivent gagner leur vie (ultime infamie) en travaillant toute la journée !
Au moment de la conception du projet, c’était pour moi THE difficulté à surmonter. Au final c’est cette contrainte qui m’a conduit à créer les 3 phases du jeu : commerciale, politique et militaire. Et là j’ai fait un truc improbable que je n’ai d’ailleurs jamais reproduit pour un autre jeu : j’ai travaillé en scindant réellement le jeu en plusieurs jeux. Concrètement, il y a eu une première maquette avec simplement un jeu de commerce et de construction (sans aucune interaction militaire entre les joueurs) puis ensuite un jeu de baston autour de la méditerranée où on se moquait complètement de l’économie et des échanges commerciaux ! C’est seulement dans un 3ème temps que j’ai réuni les 2 jeux en 1 et que le « vrai » MN est né.
Me demander pas pourquoi j’ai fait comme ça… ça a été purement intuitif : ça m’a paru la meilleure façon de procéder pour que chaque phase présente en elle-même une vrai force et une vrai spécificité. C’est d’ailleurs marrant de constater après coup que certains joueurs sont beaucoup plus à l’aise dans une des phases du jeu et rament plus ou moins dans les autres. J’ai un pote, fan du jeu, qui est un expert dans le choix des combinaisons des Héros et Merveilles (H&M pour les intimes) et dans les aspects militaires du jeu, mais qui avoue fréquemment qu’il ne comprend rien à la phase commerce ! Même si ce n’est pas aussi vrai qu’il le dit, il lui arrive encore de gaspiller des ressources (à MN il faut faire des combinaisons de 3 ou de multiples de 3 et l’excédent qui n’est pas en impôts est défaussé) alors qu’il est Maître du Commerce (c’est celui qui choisit combien de cartes seront mises à l’échange et qui prend en premier) !!!
De les idées qui contribuèrent à créer l’identité de MN (je me mets à parler comme Mr Phal, faut que je me surveille ! )
Une fois les mécanismes des 3 phases en place, c’est l’idée des leaders de phase qui m’a convaincu que je tenais le cœur du jeu. Cette idée est née du fait que dans les jeux, je n’aime pas trop les pouvoirs ou les avantages du style « chaque tour, recevez une armée supplémentaire ». Pourquoi ? Parce que souvent cela produit un effet « Kingmaker » : plus je gagne, plus je gagne ; et ensuite parce que ça ne sollicite pas l’intelligence du joueur. Dans MN lorsque vous êtes chef militaire, vous décidez dans quel ordre chacun va jouer : ça peut s’avérer très puissant (ça peut par exemple vous permettre de museler un joueur en le faisant jouer 1er alors qu’il a 2 voisins qui peuvent lui tomber dessus) mais ça peut aussi ne pas vous avantager voire même vous coûter la partie si vous faites le mauvais choix (vous vous rendez compte après coup que si vous aviez joué 1er vous auriez pu couler les flottes de votre ennemi et anéantir ainsi ses possibilités d’invasion…).
Une idée qui m’a tenu longtemps en échec venait de ma vision de l’antiquité et de la perception affective que j’en avais (qu’est-ce que j’aurais aimé, étant enfant, qu’Hannibal mette une bonne fessée à ces arrogantes légions romaines ! Que ces bonnes grosses pattes d’éléphants, encore pleines de neige et de glace des alpes, écrabouillent de la trop rouge tunique romaine !
).
Trêve de plaisanterie, ce que je voulais avant tout rendre, c’est que la conquête militaire ne suffit pas pour s’imposer, que c’est la culture qui au final constitue les empires. Rome a envahi et plié sous sa domination toutes les régions autour de la méditerranée (et même au-delà !) et ce faisant elle s’est transformée au contact d’autres cultures et a même largement contribué à les répandre dans le monde…
Mais comment rendre cela dans un jeu ?!? je t’attaque, je prends ta province et je l’annexe à mon empire. Fin de la discussion.
Ça peut paraître bête mais j’ai buté sur cet obstacle pendant de longs mois… et puis un jour l’idée est venue (alléluia, musique style trompette des anges) : les marqueurs influences ! Dans MN vous pouvez piller, occuper temporairement, vous gaver des ressources de l’autre ; très bien, mais la province reste sous l’influence du joueur et le jour où vous partez, elle revient à son empire d’origine (pour l’annexer, il faudra la convertir mais ça c’est plus long et plus risqué). De la même façon, vous pouvez avoir des légions tout autour du ventre dans une province neutre, tant que vous n’y aurez pas placé le marqueur influence de votre empire, vous ne pourrez rien y construire.
Bref, il m’a fallu du temps pour penser et peaufiner les mécanismes de MN, pour tester, modifier, retester, remodifier… (cent fois sur l’enclume, refrappe le glaive… ou un truc du style :o) et quand j’ai eu fini… euh au fait c’est vrai ça, c’est quand qu’on dit que c’est fini ? (car sur ce genre de jeu, c’est ça qui est difficile ; se dire : bon allez, j’arrête de retoucher et d’en ajouter, j’y suis!).
Le jeu est sorti chez Jeux Descartes. Et a été joué par une communauté de joueurs. Ce n’était plus des cercles de testeurs mais un public varié et nombreux. Le jeu a été joué, apprécié, critiqué, ou les 2 ! et là je me suis rendu compte que ce que je croyais fini, ne l’était pas ! Loin s’en faut !
Mais là commence une autre histoire ! À lire bientôt dans votre trictracblog préféré !