♪♪ Abyss oh Abyss
Lorsque tu soulignes
Au crayon noir tes lieux fabuleux
Abyss oh Abyss
Moi je me turlupine
A chercher où se cache le jeu !! ♪♪
Abyss est un jeu « familial + », pour 2 à 4 joueurs pour des durées de partie de l’ordre de 1h-1h30 (les 40 minutes annoncées sur la boîte sont un peu de l’ordre de l’utopie), qui nous immerge dans les profondeurs sous-marines.
Le but du jeu est de devenir le Maître des profondeurs, en gagnant des points d’Influence, récoltés par l’exploration des lieux, l’élimination de monstres marins, l’acquisition de Seigneurs et la fédération de différents alliés.
Abyss est un jeu sorti à la rentrée 2014, entouré d’une communication assez abondante et bénéficiant d’un effet de buzz dans la communauté ludique, qui a entraîné ici ou là des débats quant à la qualité du jeu. Afin d’être le plus objectif possible, j’ai attendu la vague du buzz pour me faire un avis personnel, le plus objectif possible en jouant et aussi en observant d’autres joueurs à l’œuvre parmi ma communauté ludique.
Il faut bien avouer que je suis plus que circonspect face à ce jeu, qui pourtant avait a priori deux arguments de poids en sa faveur :
La participation d’un de mes auteurs français préférés (Charles Chevallier à qui l’on doit entre autres, des jeux astucieux et inventifs comme Intrigo, Gentleman Cambrioleurs, Ici Londres, Le secret de Monte Cristo)
Un univers original pour le coup !! Une plongée dans les eaux profondes, pourquoi pas après tous ?
Et certaines craintes :
La participation de Bruno Cathala, que l’on ne présente plus et dont la « productivite aigue », qu’il a du choper chez Mr Reiner Knizia. Autant l’avouer, avec Bruno Cathala, je ne sais pas à quoi m’attendre car il est capable du pire (C’est pas faux, Madame Ching, SOS Titanic), du très moyen (Five Tribes) comme du meilleur (Cyclades, Okiya, Le Petit Prince, Les Chevaliers de la Table Ronde...)
La communication importante autour de ce jeu. Autant, je suis d’accord pour que l’objet culturel « jeu » soit plus mis en évidence, autant l’excès peut nuire : trop d’attente sur le jeu entraîne une frustration accentuée lorsque le jeu ne nous convainct pas. A titre de comparaison, j’ai trouvé la campagne de communications d’Elysium et de Five Tribes beaucoup plus adaptée et moins oppressante pour les utilisateurs de Tric Trac et les membres de la communauté ludique.
Travail éditorial :
Le travail éditorial et graphique est, ne le cachons pas, un des éléments marketing du jeu et est définitivement un élément fort du jeu (prix du meilleur artwork chez BGG). L’éditeur a eu (entre autres) la bonne idée de vendre Abyss avec des couvertures de boîte différentes (5 visuels différents), ce qui a contribué à être une vraie réussite du point de vue marketing.
Le jeu propose un univers subaquatique très richement illustré par un Xavier Colette, au top de sa forme, notamment concernant l’illustration des cartes. La boîte de jeu propose également une monnaie sous la forme de perles (en plastiques mesdemoiselles, proposer aux éditeurs de faire une version Deluxe, qui sait ?) et des réceptacles creux en plastique en forme de coquille Saint-Jacques.
Malgré ces nombreuses bonnes idées et l’avis général, je n’ai pas été particulièrement sublimé par le travail éditorial et je ne trouve pas le jeu irréprochable :
Le plateau et les cartes sont particulièrement sombres. OK c’est le thème du jeu, c’est pour le côté immersif de la chose OK OK mais il y’a des limites. A l’inverse, comme on va le voir, j’aurais plus aimé que l’immersion soit plus respectée par le mécanisme du jeu
L’ajout de perles et de coquillages, c’est cool, c’est immersif mais CE N EST PAS REVOLUTIONNAIRE en terme de matériel dans un jeu. Je trouve que les éditeurs en ont un peu trop fait sur le côté « ce jeu envoie du matériel jamais vu, un face-up de la mort, une débauche de graphisme inouïe ». Un petit côté « m’as-tu vu » énervant
Un prix élevé : 40 euros pour quelques cartes de qualité standard (hormis les illustrations), un plateau un peu « cheap » et quelques jetons, ça fait cher l’immersion tout de même
Mécanisme de jeu :
Qualifié comme jeu « expert », connaissant le talent des auteurs, je me suis donc permis de me jeter dans les profondeurs des rouages mécaniques et malheureusement je n’ai pas trouvé grand-chose. Comme l’ont noté Serraangel, Smiley et d’autres « aviseurs », j’ai été particulièrement déçu par le manque de profondeur et par le fossé qu’il y’a entre la thématique et les mécanismes du jeu, datés, peu intuitifs, abscons et plats comme une limande. Le tout est très très poussif.
1er constat : le jeu se prend rapidement en main, le jeu tourne, c’est une certitude, il tourne mais c’est malheureusement son seul fait d’arme…
A son tour, le joueur doit faire une action parmi 3 :
Jouer une phase d’exploration pendant lequel le joueur explore les fonds sous-marins en dévoilant des cartes, représentant généralement des Alliés. A chaque fois qu’une carte est dévoilée, elle est achetée par un adversaire (moyennant perles, 1 seul achat par joueur), gardée par le joueur explorateur ou posée sur le plateau de jeu. Au bout de 5 ou 6 cartes, le joueur qui explore est obligé de prendre la carte et gagne une perle. Les cartes posées sur le plateau sont dispatchées dans la salle du conseil selon leurs familles.
Prendre dans sa main une famille de cartes Alliés issus de la salle du Conseil
Recruter un Seigneur en payant avec des alliés, selon des pré-requis (en complétant avec des perles). Ces Seigneurs, dont le coût dépend de leur sphère d’influence, rejoignent votre domaine en donnant généralement un pouvoir et une ou plusieurs clés. La carte alliée de valeur la plus faible, ayant permis de payer le Seigneur, est thésaurisé (« fédéré » dans le texte ») pour rapporter des points en fin de partie (ne me demandez pas pourquoi !!)
Si un joueur possède trois clés, il est obligé de contrôler un lieu (en prenant un lieu disponible ou en choisissant parmi des lieux dans la pioche parmi 4 tuiles lieux au maximum). Le joueur affecte ces seigneurs dessus (et perd leurs pouvoirs) mais remportera des points de victoires en fin de partie grâce à ces lieux.
Que dire de tout ceci, déjà il n’y a aucune immersion dans le système de jeu :
J’explore des lieux mais la primeur de mes recherches est aux adversaires (???)
Je recrute des seigneurs avec des alliés et je fédère un allié lors de ce recrutement ( ??? plus tarabiscoté que cela c’est très difficile à imaginer)
Je gagne une perle si j’explore jusqu’au bout et que je prends tous les risques (moui moui, et je vous épargne la question de savoir pourquoi on gagne 2 perles si on recrute un des 3 Seigneurs restants). C'est purement mécamathématique.
Le pire, au niveau de l’immersion c’est le mécanisme des monstres : je vois un monstre, j’attaque, je gagne immédiatement un bonus et je mets le curseur à zéro ou je n’attaque pas, OK ça ne m’affecte pas ça fait juste descendre un marqueur de menace qui permettra un bonus plus élevé lors du prochain combat, point barre.
Sans plaisanter, peut-on faire moins thématique que cela ? Ajouter une notion de monstre à combattre et rendre le combat immédiatement gagné et/ ou ne rien encaisser en cas de défaite. Là je dis non, déjà je trouve cette mécanique d’un autre temps d’une part et d’autre part, ce n’est pas possible, un combat c’est un combat, ça nécessite une riposte avec une force de frappe et des gains ou l’abandon et des malus.
Et puis que ce jeu est trop aléatoire. Les coups sont généralement forcés, au moins si on considère la piste des explorations. Je sors un 5, forcément mon adversaire le prend, tu sors un 1 alors que tu es sur la dernière case de la piste, tu n'as plus qu’à finir ton tour en sortant un Kleenex et te rassurer car tu as gagné une perle (je passe la prise du jeton monstre qui est random au possible, entre 2 et 4 points ainsi que les cartes Intrigant et Traître).
Conclusion :
Abyss souffre vraiment de lacunes mécanistiques criantes et d’une immersion absente (oui pour moi l’immersion n’est présent que sur la boite et dans le thème). J'ai l'impression que les auteurs ont sorti la truelle ludique pour coller des mécanismes ensemble ... la ficelle est grosse... L’alchimie entre ces deux grands auteurs n’a tout simplement pas fonctionné du tout.
L’envie de rejouer est vraiment absente. Je considère Abyss comme une des mes plus grandes déceptions ludiques à ce jour, connaissant le casting initial (C. Chevallier, B. Cathala et Bombyx).
J’ai eu l’impression de jouer à un jeu réalisé sur commande, avec deux têtes d’affiches et pas de génie créatif derrière. Ne nous cachons pas derrière notre petit doigt, ce jeu sans ce casting d’auteur et d’illustrateur n’aurait sans doute pas franchi l’étape de l’édition, tout du moins à cette échelle là. Le secteur ludique explose et comme dans tout secteur, des « stars » naissent, dont le nom apporte automatiquement un succès d’édition à l’arrivée, quelle que soit la nature du jeu. Abyss est un exemple flagrant.
Il est vrai que l’équation : 1 talent + 1 talent = 1 succès est plus que difficile, surtout dans le milieu créatif, espérons que ces auteurs trouvent cette alchimie pour nous proposer dans le futur une perle ludique de derrière les fagots (vous ne l’avez malheureusement pas débusqué au fond des océans).
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Pour faire une analogie simple avec le cinéma, j'ai eu à peu près le même sentiment que quand j'ai vu Avatar au cinéma. OK c'est un jeu qui est convaincant graphiquement (comme la 3D et l'univers de Pandora) mais on a tendance à être tellement ébloui par cet aspect, qu'on en oublie la pauvreté du mécanisme (comme on passe à la trappe le scénario d'Avatar particulièrement daté, cliché et insipide)