Après Das Ende des triumvirat, je vous propose de continuer notre visite dans le monde peu fourni des jeux spécialement prévus pour la configuration trois joueurs avec After the Flood (AtF), un jeu de Martin Wallace, édité en 2008 et dont j'ai le plaisir d'avoir le n°63 dédicacé par l'auteur. Je ne vais pas revenir sur ce que j'ai déjà expliqué dans l'avis sur DEDT à propos de cette configuration qui est particulière dans les jeux d'affrontements directs, mais la question posée à nouveau ici est : quid du redouté 2 vs 1 ? On a vu comment l'écueil est contourné dans DEDT, le maestro de Manchester a-t-il lui aussi pris des précautions particulières ?
Mais d'abord, puisque c'est un avis, quelques commentaires sur le jeu.
Avec un parfum faussement kniziesque (1), AtF suscita la curiosité dés l'annonce de sa future sortie. Après un Tinners' Trail plutôt bien accueilli dans la nouvelle gamme Treefrog (2), on était un peu surpris de voir arriver un jeu jouable à trois joueurs seulement, avec une durée de partie annoncée de 180 minutes (3). Placement d'ouvriers, récolte et gestion de ressources, système majoritaire, combats au dés pour la possession de territoires, un mécanisme de déclin, un peu de construction... avec des moyens assez simples, Martin Wallace nous invitait à revivre l'Histoire de la Mésopotamie en 5 tours de jeu intenses et riches en interactions.
Il vous faudra obtenir des ressources nécessaires pour bâtir des cités recruter des artisans, scribes, paysans, commerçants et constituer une armée. Les régions du plateaux ne se valent pas toutes en terme de ressources et de point de victoire et en opportunité de mener une vaste armée conquérante, car oui, il de la bagarre dans AtF. A chaque ère, trois armées d'envahisseurs historiques (ou venant de Sumer) sont proposées aux joueurs (chacun pourra sous certaines conditions en mener une), mais elles sont souvent de forces très variables. Cette problématique à elle seule fait de AtF un des jeux les plus stratégiques du Maestro. En effet, il est selon moi un modèle-type du jeu où l'anticipation du prochain tour jouera un rôle prépondérant. Tout ce que vous faites aura un impact sur le tour suivant, tant en terme de récolte et de conquête militaire. Il faut savoir être dans le bon tempo notamment pour le choix de votre armée, l'auteur l'évoque d'ailleurs dans ses notes à la fin du livret de règles. Si par exemple au troisième tour, vous envisager de mener l'armée Mittani (les deux autres choix, Egypte et Sumer étant bien plus faibles), il vaut mieux vous y préparer bien en amont... et si un autre joueur a la même idée, il faudra vraiment ruser et jouer avec précision.
Les combats sont d'une simplicité enfantine avec un système proche de celui rencontré dans Perikles et même le méconnu Mordred (5), l'auteur n'ayant pas voulu compliquer les choses sans doute par soucis d'épure (un objectif de la gamme Treefrog), mais aussi pour que les joueurs gardent leur concentration sur d'autres aspects du jeu (préparation, gestion, placements d'ouviers, constructions de cité). Peut-être également que l'auteur avait tiré les leçons des difficultés rencontrées par les pratiquants de Byzantium (4). Prendre militairement des territoires est important pour les points et le commerce, mais le coût en troupe est parfois élevé. Petit détail important : les armées ne restent pas pour le tour suivant, elles sont retirées du plateau, les victoires sont éphémères et seuls les civils restent. Toutefois, le déclin, qui intervient au début du second et quatrième tour rebat en partie les cartes car on retire aussi certains ouvriers du plateau et ça, les joueurs doivent encore l'anticiper.
Comme il n'y a pas de monnaie, tout est histoire de conversion de ressources diverses, bois, or, lapis lazzuli, outils, grains, textiles, etc... les équivalents sont fixés dans une table qui permet aux joueurs de jongler avec leur ressources pour obtenir celles plus précisément rechercher. A noter que l'interaction est forte, même pour les récoltes de grains et textiles, vos capacités dépendront aussi de vos adversaires. Le scoring de fin de tour est limpide, avec quelques éléments supplémentaires à ne surtout pas négliger pour le décompte final.
Alors, et le 2 vs 1 ? Et bien il n'y a pas de précautions mécaniques particulières pour l'en empêcher... sauf que c'est en fait difficilement rentable. Sur un tour, à la limite, mais dans l'ensemble, les différents paramètres rendent difficiles des alliances efficaces et durables. On s'en est rendu compte au fil des parties, c'est compliqué de cibler le même joueur et il est préférable de profiter des déséquilibres provoquer par une invasion ou un déclin. De plus, en cas d'alliance, il faut veiller évidemment à ne pas trop servir la soupe à votre allié du moment et franchement à AtF, cette évaluation est un peu hasardeuse.
Le thème du jeu apparaît un peu en arrière plan avec quelques rappels de l'époque et du contextes à travers certains mécanismes. Je recommande de noter à chaque tour qui a pris quelle armée avec combien de troupes au total (car il est possible d'en recruter un peu plus que le nombre indiqué) ainsi que la répartition des points marqués au décompte intermédiaire (Militaire et/ou Cité). Vous pouvez revivre ainsi votre progression et peut-être en tirer quelques enseignements pour la prochaine partie.
Gestion, conquêtes, prise de risque et surtout anticipation, After the Flood est un jeu pour trois vraiment bien conçu et pas très complexe d'accès pour des joueurs habitués s'entend. Martin Wallace renouvellera un peu plus tard l'expérience du jeu pour trois avec God's Playground, avec une densité de règles et des problématiques bien différentes, mais ça, c'est une autre histoire...
(1) On pensait tout de suite à Tigre&Euphrate évidemment...
(2) Treefrog, qui avait pour concept matériel carton, bois et diverses aides de jeu imprimées sur le plateau, succédait à Warfrog, la gamme dont le dernier jeu édité fut Brass.
(3) Toutes les parties auxquelles j'ai pu participer ce sont effectivement terminées à peu de chose près en 3 heures.
(4) Simple hypothèse personnelle, mais ceux qui ont potassé un jour les règles de Byzantium me contrediront pas je suppose...
(5) Jeu édité en 2007 pour financer une association qui s'occupait du don d'organes, Mordred est un jeu léger, amusant mais anecdotique par rapport aux grands titres de la ludographie du Maestro. C'est pourtant un Warfrog qui porte le numéro 1018.