Dans les notes de Martin Wallace à la fin du livret de règles de Age of Industry (AoI), on peut lire notamment les passages suivants :
"Je dois admettre que j'ai été surpris par la popularité de Brass, comme certains de mes réguliers testeurs de jeu"...."Brass était plus complexe que ce que j'aurais aimé en raison des circonstances particulières de la révolution industrielle dans le Lancashire"..."Durant le processus de développement [de AoI], j'en suis venu à simplifier d'autres éléments du jeu"..."Je ne sais pas pourquoi je ne suis pas venu avec ces idées lorsque j'ai travaillé sur Brass, sinon je les aurais inclus dans le jeu original."
Et encore là c'est rien. Je ne suis pas parvenu à retrouver un article dans lequel Martin disait ne plus vouloir jouer à Brass et que maintenant il fallait considérer AoI comme le jeu qu'il voulait vraiment faire au départ. Je me souviens que les bras(s) m'en étaient tombés ! Comment ? Brass, un jeu apprécié par de (très) nombreux gameurs dans le monde, est renié par son créateur ? Brass, un jeu costaud qui fut rapidement adapté en ligne tant il avait d'amateurs qui voulaient encore plus en découdre ? Surprenant...
Pendant longtemps, j'ai pensé que le Maestro avait commis une erreur d'évaluation. Après tout, Brass a été réédité (avec succès et dernièrement en simultanée avec une autre version appelée Brass Birmingham), alors que Age of Industry, arrivé sur les étals en 2010 (je l'avais acquis dés sa sortie), n'a pas connu de réimpression. Certes, il y a eu un plateau alternatif, mais dans une édition si limitée (sans doute par précaution) qu'elle fut rapidement introuvable, ce qui a agacé quelques joueurs pourtant pas hostiles à AoI. Alors pourquoi ce succès moindre d'une version pourtant présentée comme "améliorée" de Brass ? Je me permettrais pas de répondre pour tous les amateurs brassistes et je me prends pas pour un brassologue, mais j'ai quelques petites idées sur la question. Tout part des changements de règles d'un jeu pourtant plébiscité par les joueurs, des modifications assez nombreuses ; Dans le cadre de cet avis, je vais aller directement à celles qui m'avaient le plus perturbé. [Avertissement : pour comprendre ce qui va suivre, il faut connaitre Brass un petit peu].
Pour commencer, la suppression de l'ère des canaux pour ne jouer que les chemins de fer. L'auteur justifie cette simplification par le recours moins important aux canaux dans d'autres pays. Historiquement, c'est peut-être juste, mais ludiquement, voilà une division en deux périodes de jeu qui disparaît et là, j'étais moins preneur. En effet, je trouve cette césure stratégiquement (et thématiquement) intéressante, son retrait, même compréhensible pour des raisons géographiques et/ou de contexte historique, est pour moi un petit moins.
Ensuite, il y a dans le décompte une chose qui doit choquer tout bon brassiste : une industrie, même non "retournée" (donc qui n'a pas été financièrement rentabilisée) donne quand même des points de victoire au décompte final. Alors qu'à Brass, parvenir à trouver des débouchés pour les filatures et ports est l'un des grands enjeux de la partie pour les joueurs qui jouent sur ces bâtiments, avec AoI, détendez-vous : même si vous manquez des ventes, certes vous ne gagnerez pas d'argent, mais vos bâtiments vous donneront quand même des points de victoire.
Un autre regret, la disparition du petit frisson des ventes à l'export : le système initial est remplacé par la pose aléatoire de tuiles au début de la partie qui indiquent si une transaction est possible ou pas. Le suspense est écarté et c'est maintenant une course à celui qui parviendra à vendre le premier avec une certitude sur le résultat et chaque emplacement de commerce extérieur est à usage unique. A un niveau moindre de gêne, je trouve que les plateaux de base sont plutôt pour 4 et 5 joueurs et non 3, et j'aimais pas trop ces scores de fin de partie ultra serrés, avec l'impression de batailler dur sans parvenir vraiment à se détacher des autres. Je me souviens notamment d'un 25-26-27-28 qui m'avait laissé vraiment perplexe.
-"Houla ! Heu...il a bien quand même quelques qualités ce Age of Industry non ?" Ah! Merci de poser la question et ma réponse est "Oui"! C'est d'ailleurs maintenant que je vais justifier ma note de 8 sur 10, note qui aurait été bien plus basse je dois l'avouer si j'avais écrit cet avis il y a quelques années en arrière.
Tout d'abord, le jeu de base propose un plateau double-face, Allemagne d'un coté, Nouvelle-Angleterre de l'autre, coté où l'on retrouve les chantiers navals avec un rôle plus intéressant que dans Brass. AoI a eu aussi un plateau Japon/Minnesota (qui fut donc vite épuisé) et on peut trouver sur la toile des plateaux créés par des amateurs du jeu. J'aime bien les plateaux alternatifs, comme dans un Age of Steam ou un Terraforming Mars (à condition qu'ils apportent quelque chose de vraiment nouveau évidemment). Je me souviens d'une partie jouée coté Japon et c'était vraiment bien. A noter que le système des icones des cartes permet de jouer sur n'importe quel plateau (et c'est malin ça). Ensuite, l'apparition d'un nouveau bâtiment, l'usine, est un élément tout à fait positif et ouvre des perspectives stratégiques nouvelles.
Age of Industry règle enfin le problème du "fer qui vole". Oui, c'est fini, il doit à présent circuler comme son compère le charbon et mine de rien (si j'ose dire...), cela tend le jeu au moment de construire des bâtiments qui en demandent, un bon réseau est encore plus nécessaire ;
La gestion de la main de cartes a été repensée. Dans Brass, chaque action demande une carte et vous en touchez un nombre fixe durant la partie, ce qui n'est pas le cas dans AoI. En effet, certaines actions ne demandent pas de cartes (vente de marchandises, la construction de rail), et vous pouvez en piocher deux quand vous le jugez nécessaire (c'est une action), avec un choix de cartes découvertes. Ce changement dans l'acquisition des cartes rend AoI plus souple je pense que Brass, dont le mécanisme de distribution des cartes impose des contraintes un peu excessives parfois dans les parties.
Le principe des emprunts (remboursables comme dans London, mais avec des intérêts comme dans Age of Steam ) est un changement plutôt bien intégré selon moi. C'est plus simple dans l'idée, plus souple (encore) et plus fluide que l'obtention des revenus dans Brass. Attention toutefois car l'argent est bien plus valorisé en terme de points dans AoI, sa gestion n'est donc pas un aspect à prendre à la légère et comme à ce jeu, 1 point est 1 point...prudence.
AoI conservent évidemment bien des aspects similaires à ceux de Brass, comme les écrasements d'industries, le marché extérieur de charbon et fer ou encore l'action développement (sans fer dans AoI, juste une carte). La pose des rails reste un paramètre important, que ce soit pour la circulation du fer et du charbon, l'installation d'industries et les points de fin de partie.
Bon, il est temps d'en venir à ma conclusion maintenant, j'ai été bien trop long et je vous remercie déjà de m'avoir lu jusque là. Alors oui, j'ai évolué concernant Age of Industry, jeu que je redécouvre un peu sur le tard, tout comme j'ai retrouvé il y a peu un début de guide stratégique rédigé par monsieur Pyjam (salutations s'il passe par là). Attention, je reste un admirateur de Brass, mais j'apprécie aujourd'hui presque tous les changements contenus dans AoI, seuls les points des bâtiments non activés me font encore un peu grincer des dents. J'ai même l'intention de m'intéresser de plus près aux plateaux "amateurs" et d'essayer de sortir régulièrement AoI en cette année 2022.
PS : Si vous possédez le plateau officiel japon/Minnesota et que vous savez pas quoi en faire, vous pourriez penser à moi ? :-)