Voici une histoire de chauves-souris mangeuses d'oranges (ou quelque chose comme ça). Le jeu semble conçu pour nous montrer l'importance de cette espèce dans l'écosystème d'une région africaine. Les villageois gagnent de l'or, mais il faut qu'ils s'éduquent à l'écologie car les roussettes disséminent (dans leurs excréments) les graines de futurs arbres.
Je ne connais qu'une dizaine de jeux de Rosenberg, mais parmi ceux-là je dirais qu'Atiwa a un feeling un peu entre Hallertau et Agricola Family. La ferme a été remplacée par un écosystème (incluant l'homme) mais ça ne change pas grand chose.
Le placement des meeples sur un plateau central, qui permet d'alimenter et d'optimiser une sorte de mouvement perpétuel dans sa zone personnelle, est très similaires à ces deux autres jeux relativement récents de Uwe. Niveau complexité c'est plus simple que le premier mais quand même plus complexe que le second -on est donc dans de l'expert léger, à la limite du familial +.
L'idée de mouvement infini à optimiser est sans doute encore plus nette, plus aboutie qu'auparavant, et de plus elle est appuyée par un thème écolo assez cohérent qui lui colle parfaitement. En ce sens, c'est sans doute l'un des jeux les mieux thématisées de son auteur. Évidemment, le côté politique est sans doute un peu naïf et condescendant (un riche auteur de jeux allemand qui essaie de convaincre des africains qu'il faut respecter la nature plutôt que de chercher de l'or en polluant) mais saluons tout de même cet effort, assez rare dans l'univers de l'euro game, qui semble souvent utiliser les thèmes "nature" par pur opportunisme (coucou Caldera Park, Ark Nova, Cascadia...). Je spoile déjà un des points les points les plus malins du jeu: comme l'esclavage dans Endeavor, vous POUVEZ utiliser la pollution, la règle ne va pas immédiatement vous punir. Simplement, vous en réaliserez tout au long de la partie les implications -ici par la dégradation de vos paysages, avec des conséquences sur la place disponible. S'il le veut, un joueur PEUT donc prendre de l'or en polluant à fond et en construisant de grandes villes très peuplées, tout en faisant l'impasse sur les chauve-souris, le souci à gérer dans ce cas étant qu'on n'a vite plus d'arbres pour construire ces villes, qu'on doit concentrer en bas des cartes là où la pollution n'est pas arrivée! Très intéressante expérience d’écologie ludique.
Le très grand choix des cases d'action et la facilité à nourrir ses familles ou héberger ses chauves-souris en fait un placement d'ouvriers "à la cool", sans beaucoup de tension -il faut vraiment le faire pour se taper des points de famine à la fin. Atiwa, c'est donc un peu Agricola qui aurait fumé un spliff: le placement est assez large et non punitif, il n'y a aucune carte à connaître, tous les éléments interagissent assez facilement pour faire fructifier (c'est le cas de le dire) son système, il faut juste bien se tenir au courant de comment on marquera des points en fin de partie. Et là, c'est tellement équilibré qu'on a vraiment du mal à savoir qui est en train de gagner: les villes rapportent beaucoup mais elles sont obtenues avec beaucoup d'or, qui lui-même rapporte des points, donc on fait juste une petite plus-value. Bof donc... Les chauves-souris rapportent au dessus de 10, donc pas pour ceux qui en ont utilisé peu. Les familles donnent pas mal de points sur le tableau, mais elles sont coûteuses en nourriture (on peut les nourrir au lait de chèvre au début, mais ça devient rapidement insuffisant). Chaque source de point possède donc sa compensation bloquante, à tel point qu'on se demande comment on obtient finalement entre 80 (assez mauvais) et 120 (excellent). Il n'y a pas vraiment plusieurs "strats" mais une nécéssité d'équilibrer son économie à chaque instant tout en prévoyant un peu l'avenir. Très très astucieux tout en demeurant simple et lisible.
Je n'ai donc pas l'impression qu'il existe de nombreuses alternatives dans les façons de gagner, mais la grande variété des cartes paysages (qui elles rapportent très peu de points, voiret en enlèvent, mais donnent de nouveaux lieux pour nos arbres, fruits, animaux) produit une variabilité/rejouabilité bien supérieure à celle d'Agricola Family, et beaucoup plus sympathique à mes yeux que les centaines de cartes à conditions de Hallertau -je trouve ces dernières indigestes, hasardeuses et trop individualistes, un peu comme les cartes à combiner de l'âge de pierre. A propos de ces cartes paysages, je n'ai pas du tout compris le coup des maisons abandonnées, sur une carte qui enlève carrément 5 points: quel est leur intérêt au juste, vu qu'on ne peut pas mettre de famille dedans???
Comme dans Hallertau et Agricola Family, on est vraiment dans un schéma de "solitaire à plusieurs", amplifié par le peu de tension. Ce n'est pas un défaut, il faut juste le savoir: une partie du charme d'Atiwa vient de son côté zen, mou et quand même assez répétitif.
Au final, voilà une séance de pose de meeples très compacte, équilibrée,mais pas trop sèche. On retrouve le côté foisonnant d'Hallertau mais pas son artillerie lourde (les 3 plateaux personnels, les cartes à conditions désagréables, les moutons à sauver...), on a aussi le côté convivial d'Agricola Family mais pas son absence totale de variabilité (cette rigidité qui le rapproche d'un simple casse-tête/puzzle).
En fin de partie, on ressent juste un petit regret quant à l'absence d'objectifs à atteindre, qui pourtant existent dans la version solo avancée.
Uwe a-t-il pensé que c'était inutile pour la version multijoueurs?
C'est un peu dommage, même si la stratégie assez uniforme et l'absence de côté "bac à sable" laissent à penser qu'établir une liste d'objectifs équilibrés pour lesquels lutter n'était pas forcément une tâche facile. J'en profite pour noter que le mode solo est l'un des meilleurs que j'ai jamais vu: comme celui d'Hallertau, il ressemble exactement au jeu à plusieurs, mais le plaisir est encore supérieur, plus proche du mode solo de Loyang.
Peut-on vraiment à chaque fois souhaiter un nouveau Rosenberg variable et tendu? Ne peut-on pas au contraire accepter la personnalité particulière de chaque nouveau jeu et considérer qu'il ne s'agit pas d'une erreur mais d'un geste de son auteur? Si on continuer à tout comparer à Agricola, on ne verra jamais les qualités de toutes ses productions suivantes (les chaînages fous de Ora et Labora, la liberté de Caverna, l'élégance minimaliste, presque arty, de Spring Meadow...) De telles qualités propres, Atiwa en possède beaucoup et trouve très bien sa place dans l'oeuvre foisonnante de Rosenberg. On ne peut pas dire que le concept d'écosystème, à haut potentiel ludique, soit totalement légitimé par ces mécanismes un peu tirés par les cheveux. Ce lien thème/mécanisme était beaucoup plus évident dans un jeu comme Evolution, mais si Roenberg passe durablement du farming à l'écologie, on peut penser qu'il va nous pondre quelque chose de plus poussé dans ce style d'ici peu de temps. Un "Ecologia", c'est pour bientôt?