C’est l’histoire d’une région où quand il fait beau, on se promène avec son parapluie. Une région où on mange des quatre-quarts en entier. C’est l’histoire d’une région encerclée par la mer, qui décide alors d’en extraire le sel (d’où la mythologie « seltique », bien entendu…) pour en faire le commerce.
Et comme ils en ont de trop et ne savent pas quoi en faire, ils le mettent même dans le beurre qu’ils vendent…
C’est l’histoire d’un climat où ça barde, la seule histoire réelle où on peut croiser du Rohan, une bécassine qui ne vole pas ou encore la forêt de Brocéliande, demeure du mort Merlin.
Et ceux qui y vivent, dans ces petits villages qui résistent encore et toujours à l’oppresseur romain, vous diraient que c’est aussi la région des phares.
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Et c’est donc en toute logique qu’un romain, Marco Pozzi, a décidé de lui rendre hommage en créant ce jeu éponyme dont je compte vous donner mon avis, là, maintenant, sans tourner autour du pôt, Pierre (ouais, mon œil !), sans dériver dans des délires, à vous parler du Mont St Michel ou du tonnerre de Brest, qui seraient pourtant des sujets ad hoc. Non, rien, tintin.
Bretagne, donc. Qu’en ai-je pensé ? Déjà, le jeu est attirant. L’illustration de son couvercle de boite est plus qu’engageante, attirante même. Et si j’étais très « jeux de mots », je la qualifierais d’ « épharante », même. Mais non, ce n’est pas mon genre…
Et on est ébloui jusqu’au titre du jeu où on retrouve un phare éclairé en T (et donc, sans fantôme, ndlr). Rien à redire non plus sur le matos. Le plateau de jeu est tout particulièrement réussi.
Enfin, rien à redire…
Dans la pratique, on regrettera tout de même deux choses : si vous placez les différents éléments du jeu comme prévu et précisé dans la règle, il vous faudra avoir de petits doigts pour ne pas faire tout tomber. Certains opteront peut-être pour une pince à épiler ou des baguettes chinoises. Ils riront jaune quand ils se souviendront que les tuiles de construction des phares achevés doivent être remélangées dans leur pile respective (de quoi casser le rythme du jeu et faire un intermède « partie de Dominos »).
Bien dommage car la taille du plateau est plus petite que ce qu’on voit d’habitude.
On aurait pu éviter cela.
Ce choix de taille s’explique peut-être du fait qu’on doit placer de grosses tuiles tout autour du plateau de jeu. Ce qui au final prend beaucoup de place sur la table de jeu.
Bon, ça c’était pour le premier reproche au niveau du matériel dans la pratique. Le second étant qu’il n’y a pas suffisamment d’argent. Ce qui implique de devoir faire de la monnaie à répétition durant la partie. Là aussi, ça casse le rythme. Et s’il y a bien trois types de pièces (et que la règle ne précise pas si certaines ont une valeur de 5 ou de 10, par exemple) et qu’en début de partie on se demande comment ne pas souffrir au niveau des finances, le problème sera tout autre quand on avancera dans le jeu…
Tel un gimmick, tout ceci va se répéter : du positif, mais de petits reproches qui auraient pu être évités.
Autre exemple : la règle du jeu. Ne soyez pas effrayés en la prenant en main : votre périple ne débute qu’à la page 31, et jusqu’à la 40. Bretagne est ce qu’on appelle un « gros » jeu. J’entends par-là un jeu pour gamers, un jeu où le hasard n’a peu ou pas sa place. Un jeu bien calculatoire où la première partie ne sera que découverte. Un jeu où un mauvais choix peut signifier que vous allez subir le jeu.
Je m’explique avec Bretagne : ici, il s’agit de vos cubes ouvriers, qu’il ne faudra pas bloquer sur trop de phares inachevés (alors que c’est tentant quand on découvre, puisqu’il y a un mécanisme de majorité de cubes sur les phares, justement). Pourquoi ? Parce qu’ils sont également vos points d’action : si vous n’en avez plus de disponibles, vous ne pouvez rien faire…
C’est d’ailleurs cette gestion sur le fil qui fait de ce jeu qui peut sembler accessible un vrai jeu qui ne rigole pas.
Mais je me suis perdu en route… Je voulais préciser que pour un jeu de ce calibre, les règles sont simples à retenir. On les digère avec une aisance étonnante. Un très bon point, surprenant.
Et c’est là qu’arrive un autre petit reproche. Ces règles manquent de précision sur de nombreux points. L’approvisionnement de Brest au début de chaque tour par exemple : doit-on ajouter chaque tour le maximum de ressources précisés ou ramener le stock jusqu’à ce maximum? En y jouant, nous n’avions plus de doute, certes, sur la réponse, mais elle manque cruellement à la règle.
Idem pour Quimper. La phase de « Fin de Tour » oublie de mentionner ces reboots. Idem pour les différentes valeurs des pièces. Je pourrais même faire mon difficile par rapport au choix des couleurs pour les phares faciles, moyennement faciles et difficiles à construire. En effet, le code couleur sélectionné est Bleu-Blanc-Rouge (belle idée que ce petit clin d’oeil) et n’est pas aussi parlant qu’un banal Jaune-Orange-Rouge, par exemple. Mais oui, je chipote, car on s’y fait très vite dans la pratique.
Comme d’habitude, je vais faire très court sur les mécanismes, vu que les règles sont accessibles sur le net. Voilà en gros ce que ça donne :
Selon l’ordre du tour (le premier à passer sera le premier joueur de la prochaine manche et ainsi de suite), on choisit une barge, qui donne un bonus particulier, puis on va à Quimper et on gagne des ressources par un système malin et proposant de l’interaction.
Ensuite, on joue une action à tour de rôle parmi trois :
– Acheter une construction avec nos ressources et la placer sur un phare en payant tout ce qui est nécessaire (matériaux supplémentaires, ingénieurs et ouvriers).
– Aller à Quimper et Brest pour y acheter/échanger cartes, ressources et ouvriers (et s’y rendre vous coûte des ouvriers).
– Passer.
Alors, c’est pas magique une explication si courte pour un jeu costaud ?
Bon, je vous raconte pas les différentes actions et les décomptes lorsqu’un phare est terminé, parce que là, c’est un peu plus long. C’est quand même le but du jeu, de les construire ces satanés phares !
Et pour coller à la thématique du lieu, la météo va s’en mêler. Ça ne va pas être de tout repos…
On en arrive à la partie que les plus pressés se contentent de lire.
Donc, voilà, c’est dit : je pense que Bretagne est un bon jeu. Un très bon jeu même. Les petits défauts soulignés ne sont que du fait d’un éditeur qui n’en est pas encore à son vingtième jeu.
Je pense également qu’il va plaire aux joueurs. Surtout ceux qui aiment bien les jeux demandant de la rigueur. Mais c’est pour cette raison que moi, personnellement, je ne possèderais pas ce jeu dans ma ludo. Non. Pourquoi?
Eh bien, je trouve que Bretagne est un jeu avec un hasard quasi inexistant. Un puzzle, un sport cérébral comme le sont les échecs. Bref, pas assez d’aléa, une interaction qui ne suffit pas pour me provoquer le coup de coeur, une diversité des parties frôlant le zéro absolu. Bref, un jeu où les gros joueurs s’exerceront pour savoir qui a la plus grosse, un jeu où le néophyte ne pourra se méler à la course à la victoire mais révisera au moins une partie de géographie.
Un très bon jeu pas fait pour moi. Je dois vieillir : les gros jeux ne me font plus autant vibrer que ça. Même quand ils proposent pourtant une énorme profondeur et des règles d’une épure saluable…