Les amateurs de Sherlock Holmes Detective Conseil, dont je fais partie, aurons été ravi de trouver une nouvelle dose à leur addiction. Tout est là. La boîte reprend les éléments qui guident les enquêteurs tout au long des affaires londoniennes : le plan de la ville, l’annuaire des personnages, le livret explorant les zones et le journal, source d’indices. Et puis c’est écrit en gros sur la boîte. Plusieurs choses différent néanmoins : pas de liste de personnages récurrents pour vous aider, des livrets mais pas que, et selon les affaires, une façon de procéder qui change mais aussi, pour le même prix, 5 enquêtes au lieu de 10 ! N’oublions pas le décor, trouble et paranormal où l’ombre des goules et autres monstruosités souterraines est en filigrane. Alors oui, ça ressemble à du Sherlock, mais ce n’est pas du Sherlock, on change de registre, il ne s’agit plus forcément de trouver le coupable et son mobile, mais un lieu ou un objet en un temps limité.
Petit point sur les intrigues, qui, sans rentrer dans les détails, livre quelques éléments. Vous pouvez donc sauter ce passage.
Livret 1 : le visage. Des humains au visage identique, de l’agitation dans le cimetière, une fillette disparue. Il faut localiser des lieux. Enquête où on finit par interroger tout le monde par dépit pour finalement ne rien trouver et n’être pas plus avancé. La solution raconte une histoire dont seules quelques bribes nous sont apparues. L’impression d’inabouti et la déception couronne cette première affaire.
Livret 2 : L’expédition. L’enquête part sur un vol de statuette dans un endroit fermé, un musée. Qui a volé, où est caché la statuette et y a-t-il un lien avec une secte vénérant Dagon ? Le système de jeu change par rapport à la première affaire et joue sur la temporalité. Il sera donc possible d’interroger une personne à plusieurs stades de l’enquête et avoir des indices différents. Une excellente idée, il ne faudra par contre louper le bon moment sous peine d’être bredouille. Cette fois, les membres de l’expédition décèdent un par un, le cerveau en bouillie. Des histoires de coucheries brouillent les pistes. Et comme dans le précédent livret on rame, jusqu’ à la solution qui ne délivre pas la totalité des indices. Alors oui le gardien dort, ce qui permet de bouger une statue d’une tonne avec un camion et, surtout, c’est un Yith (habitant du monde Lovecraftien) qui se promène d’hôte en hôte ( ?????). D’où sort-il ? Mystère. Une enquête avec un bon système mais encore une fois trop stricte dans ces choix (voir X a tel moment sinon rien) et une explication bidon introuvable.
Livret 3 : la maison du sorcier. C’est avec crainte que nous abordons cette troisième affaire. Une fillette disparue, une maison « hantée ». Pas d’annuaire, pas de journal, pas de plan si ce n’est celui de la maison, pas de principe d’investigation ou entretien. On repart à zéro avec une nouvelle mécanique. Reprenant l’idée d’être au bon endroit au bon moment, à la bonne temporalité comme dans l’épisode 2, l’auteur pousse le bouchon en jouant sur des réalités alternatives qui se renvoient la balle (ici l’enquêteur). Visiter les mêmes pièces, mais pas au même moment, pour ne pas récupérer la même chose est une idée géniale. On se prend au jeu à tourner en rond tout en essayant de modifier la trame de l’histoire étalée sur trois livrets. La folie guette notre héros, et peu à peu les joueurs. Très amusant mais après deux heures, carrément lassant. Comme les fois précédentes, on se met à tout exploiter pour au moins comprendre comment on parvient au final. Cette fois, une solution existe, tellement alambiquée qu’on est à la limite de l’introuvable. A se demander si l’auteur n’est pas un informaticien spécialiste des arborescences. On se sera au moins amusé 50 % de la partie. Voyons ça comme du mieux.
Livret 4 : l’affaire Spartacus. Pour ce quatrième épisode, c’est une grande enveloppe remplie de fiches, photos et compte rendu médical, interrogatoires, plan de bâtiments qui nous est confiée. Il faut, en recoupant les documents, identifier le chef de la secte de Dagon, un hybride qui ressemble à cinq autres hybrides. On fouille, on note, on compare… Cela rappelle le Vienna Connection de Detective. Cette affaire est enfin la bonne, même si la fin n’est pas claire. Il fallait identifier quelqu’un qui puisse faire pression sur la personne que l’on doit identifier. Euh, fallait peut être le dire avant non ? La solution explique bien le déroulement des déductions. Bon matériel, bel exercice de style.
Livret 5 : La canonnière. Vous vous réveillez dans la jungle, il faut trouver son chemin… Pour aller où ? Seule aide, une carte grossière. Des visions vous assaillent, vous montrent elles le passé, un ailleurs, le futur ? Il faudra comprendre, remettre ces flash dans l’ordre pour retracer l’histoire et savoir qui vous êtes. Le meilleur épisode de ce coffret. La carte sert de terrain de jeu et les hypothèses se multiplient jusqu’à la révélation finale bien trouvée. Hélas, une fois encore, et même si la partie est prenante et palpitante, on reste frustré par la maigre solution proposée (et le fait de manger de patates pour avoir accès à des informations qui n’ont aucun rapport).
Que penser de ce coffret ? Tout d’abord, un grand bravo à l’auteur pour son travail. Cinq enquêtes c’est peu mais contrairement à Sherlock qui a tendance à appliquer la même formule, ici, chaque épisode est mécaniquement différent. Que ce soit sous forme de répertoire, de pouvoir choisir la façon de procéder (fouiller ou interroger), de jouer avec les temporalités et les réalités alternatives, de nous transformer en archiviste ou de nous faire douter de nous-mêmes, tout est réussi et jouissif, poussant les affaires à un niveau où la surprise est au rendez vous.
Mécaniquement ça fonctionne donc très bien. Côté narration, si le style est ampoulé, il rappelle par moment celui de Lovecraft et on voit que l’auteur connaît bien son sujet, les références aux nouvelles de l’écrivain de Providence étant légion. Cela ajoute au confort de lecture.
Hélas, ça pêche au niveau ludique. A part les deux dernières enquêtes, qui nous aurons fait passer un bon moment, les autres sont lourdes, frustrantes, voire incompréhensibles. Si les idées sont brillantes, elles sont aussi pesantes (les aller retour temporels sont jouissifs et finissent par être un tic pénible). Mais c’est surtout, même si on accepte que l’univers chaotique des grands anciens ne peut tout expliquer, ce manque de clarté, ce sentiment d’inabouti dans les résolutions qui gâchent le plaisir. Le fait qu’on vous sorte des éléments du chapeau, que le flou règne en permanence ou qu’il n’y ait qu’ une façon de procéder pour trouver le bon élément bloque la bonne marche du jeu.
Une fois encore, c’est un superbe travail d’édition et d’écriture que nous livre cette boîte, c’est une formidable ode à Lovecraft et l’ambiance est plus que réussie, mais si la forme y est, il manque le (pro) fond (d’où cette faible note). J’y regarderai à deux fois si jamais il y a une suite.