Je connais peu de jeux aussi courts, fluides, intéressants et originaux que Carolus Magnus.
Les idées ludiques sont magnifiques:
-équilibre toujours délicieusement instable à trouver entre les deux niveaux Cour / Territoire.
-gestion délicate d'un ordre du tour forcément variable avec ses implications très différentes sur la configuration du jeu en fonction de l'ordre.
-réduction inéluctable et étouffante du plateau (un Trias à l'envers) et l'accélération exponentielle et dramatique du rythme de jeu qu'elle génère.
-double niveau également des tuiles d'ordre du tour (ordre de jeu / déplacement de Charlemagne) qui obligent souvent à croiser des visées antagonistes (s'assurer de commencer avec un petit numéro mais ne pouvoir amener Charlemagne à bon port ou se donner la possibilité de bouger avantageusement l'empereur mais devoir laisser l'initiative...). Cette idée des jetons d'ordre du tour est un truc diabolique et extrèmement important pour se donner les moyens de contrôler au maximum le jeu à court mais aussi à moyen terme.
Certaines âmes chagrines se lamentent de la part de hasard mais je dois dire, après une trentaine de parties dans toutes les configurations, que toutes les couleurs sont utiles si l'on sait bien les utiliser (et il y a beaucoup de manières très différentes et très fines de le faire) et sont autant d'orientations différentes à donner à son jeu (mettre la pression à l'adversaire sur sa couleur forte, utiliser un surplus d'une même couleur pour attaquer et/ou défendre des territoires, etc...). D'ailleurs, placer des chevaliers quasi exclusivement à la cour est loin d'être une bonne idée si l'on affronte des joueurs qui savent placer pertinement, stratégiquement et au bon moment leurs chevaliers sur le terrain. De même, il n'est pas systématiquement intéressant de construire des châteaux sur certaines régions même si l'on en a l'occasion en fonction des couleurs de chevalier en présence et de la position de cette région par rapport aux autres (il est souvent intéressant de placer juste un chevalier pour qu'il y ait égalité, sans majorité, et d'amener ensuite Charlemagne sur cette région sans qu'il y ait donc de château construit pour personne ou bien parfois même d'amener Charlemagne sur une région dominée par un adversaire pour qu'un de ses châteaux y soit construit), etc., etc. Carolus Magnus est une mise à l'épreuve constante de la capacité de chacun à utiliser intelligemment les couleurs qu'il a à disposition et le jeu offre toujours une manière intelligente de jouer les cubes quelle que soit leur couleur (la difficulté bien entendu étant de trouver cette solution et de ne pas se gourrer tactiquement et stratégiquement...). La part de hasard y est très faible, se réduit chaque fois plus avec l'expérience et se rapproche en fait assez d'un jeu comme Euphrat de ce point de vue. Bien sûr, à la fin, une partie très serrée entre deux joueurs de même niveau peut se jouer là-dessus (mais encore une fois, est-ce différent à Euphrat?). Pour palier à cet éventuel problème et éviter les mauvaises excuses, je joue avec deux variantes:
-à 3 ou 4 joueurs, j'utilise la variante Solipsiste qui est beaucoup plus intéressante que la mi-figue, mi-raisin (au lieu d'avoir systématiquement une couronne, on a la possibilité de retirer une fois les dés si l'on n'a aucune couronne ce qui oblige à penser avec soin ce que nous donne un tirage sans couronne avant de se risquer à relancer et hériter éventuellement d'un moins bon tirage...). C'est cette variante qui m'a fait découvrir que plus que les couleurs en soi, c'est leur utilisation effective et au bon moment qui prime. En effet, je ne relance en général les dés qu'une fois au maximum par partie ce qui revient donc dans la majorité des cas à jouer Carolus Magnus exactement comme l’a voulu Colovini...
-à 2 joueurs où la petite part de hasard peut le plus se faire sentir, j'utilise parfois ma variante dérivée de la Fairspielt que vous trouverez sur la fiche Tric Trac.
Carolus Magnus est donc un très très grand jeu, parfois un peu oublié et/ou injustement sous-estimé par rapport à certains hits.
Définitivement, Colovini est un des grands créateurs de jeux actuels.
*Edit 1: Après de nombreuses parties supplémentaires, je ne joue plus qu'avec la variante de Solipsiste. Je ne le répèterai jamais assez: Carolus Magnus est un des plus grands jeux que je connaisse... Et bien que relativement bien noté de partout, il me semble très injustement sous-estimé par rapport à des pointures reconnues et établies (type Puerto Rico ou E&T par exemple). Les mécanismes de Carolus en plus d'être originaux sont d'une élégance, d'une intelligence et d'un équilibre rares. On découvre au fil de la pratique un nombre faramineux de subtilités toutes plus fines les unes que les autres, parfaitement imbriquées et qui me laissent systématiquement béat d'admiration devant un tel monstre de perfection caché au sein d'un jeu de moins d'une heure, doté d'une règle et de mécanismes en soi aussi simples et qui en plus puisse fonctionner à la perfection et différemment que l'on soit 2, 3 ou 4 joueurs... Monumental !!!*
*Edit 2: Ce qui devait arriver arriva et je ne joue plus avec aucune variante...*
PS1: pour plus de précisions sur les nombreuses variantes de Carolus Magnus, voir :
PS2: pour une analyse plus récente et plus en profondeur, voir:
PS3: pour un débat sur les configurations, voir:
PS4: pour quelques exemples stratégiques concrets, voir:
PS5: pour un coup commenté et en images, voir: