Merci du conseil senior Tuco.
Avant de rédiger un avis sur un jeu sorti il y a plus de 10 ans, je me pose toujours la même question : Est-ce encore bien utile ? Pour avoir un début de réponse, je lis tout simplement les avis les plus consistants qui figurent déjà sur le site ; j'élimine d'emblée ceux écrits avec un manque de recul évident ou les trucs complètement excessifs et j'en garde une douzaine, favorables au jeu ou pas, que je relis attentivement.
Ensuite, je replonge dans mes compte-rendus de parties. Ces lectures croisées me permettent de voir tout d'abord si je ne suis pas passé à coté de quelque chose mais également de vérifier si je vais pas répéter des idées déjà clairement exprimées par d'autres.
Et bien avec Carson city, j'ai eu une surprise : je n'avais pas réalisé à quel point le jeu pouvait être aussi clivant. Pourtant, j'aurais dû m'en douter : de la pose d'ouvrier avec de la résolution aux dés pour savoir qui va faire l'action, ça ne peut pas faire bon ménage dans les esprits des joueurs, je pense en particuliers aux poseurs d'ouvriers façon Caylus. Certes, il y a une variante dite "la loi du plus fort" qui remplace les jets de dés par une enchère cachée, mais ça suffit pas aux yeux de certains. En ce qui me concerne, ça ne m'a jamais posé de problème et je vais essayer de vous expliquer pourquoi.
Rappelons brièvement que Carson city propose à chaque joueur de participer à la construction des bâtiments de la ville dans le but de faire fortune. Ranch, prisons, églises, saloons, banques, etc..., tout les établissements mythiques des westerns sont là pour nous plonger dans l'ambiance, ainsi que les illustrations et les meeples qui sont des petits cow-boys. Le plateau a une face vierge de paysage au recto mais propose un plateau alternatif au verso avec une rivière. Au début d'un tour, chaque joueur peut choisir un personnage emblématique (Shérif, Colon, Banquier, Tueur à gages, Capitaine, Commerçante, Coolie chinois) qui lui donnera un bonus momentané et fixe pour le tour la quantité de cash qu'il pourra conserver. Il faut ensuite poser à tour de rôle un de vos cow-boys sur une des cases de la "route d'action". Comme un seul joueur peut faire l'action choisie, si il y a plusieurs prétendant, c'est régler à coups de revolver (dés ou tuiles), le vainqueur obtient le droit d'effectuer l'action, le perdant reprends son cow-boy vaincu, mais sera plus fort pour les duels suivants et aura plus de cow-boys pour le prochain tour. Le système des revenus par bâtiment est élégant mais nécessite un peu d'attention pour ne rien oublier et la somme d'argent que donne un bâtiment peut évoluer en cours de jeu. Cette phase peut faire l'objet également de règlements de compte sanglants car on peut aussi voler une partie des revenus d'un bâtiment adverse, ou bien encore se disputer une parcelle. Au bout de 4 tours et un décompte final, le joueur avec le plus de point l'emporte.
Donc quid de la problématique de la résolution des duels ? Dés ou tuiles ? Et bien en ce qui me concerne, les deux me conviennent. Si vous choisissez des affrontements aux dés, à la valeur de votre jet, vont s'ajouter vos points de force "Revolver" (obtenus par la construction de certains bâtiments, par un personnage ou une case action particulière) ainsi que vos pions cow-boys inutilisés ou battus lors de duels précédents. Le hasard du dés est donc en partie corrigé, il reste thématique (vous pouvez tomber sans le savoir sur une fine gâchette) et donne au jeu un piquant aventureux digne de l'Ouest sauvage.
Maintenant, si vos partenaires préfèrent les tuiles, les duels deviennent des enchères cachées, mais toujours avec les rajouts dont je parle plus haut. La gestion des tuiles enchères est en plus intéressante car asymétrique à la mise en place, ce qui crée une tension et un suspense supplémentaire sur les forces de chacun. Pour moi, les deux systèmes se valent et adaptent finalement le jeu aux joueurs selon l'intensité de leur allergie au hasard. Une bien belle qualité de Carson city.
Ah, un petit détail : j'ai parlé de duels mais il se peut que pour une même case action, trois joueurs (oui, comme Blondin, Tuco et Sentenza) et même quatre comme je l'ai vu une fois, peuvent s'affronter sans hésiter. Je me souviens d'une partie où pour lancer les dés, on se levait de table en se plaçant face-à-face, les mains légèrement écarter de la taille comme pour un vrai duel. Du panache... ça c'est important.
Carson city a eu droit à deux extensions rassemblées dans la réédition "Big-box" 2015. "Gold and Gun's" apporte de nouvelles tuiles personnages (comme la Chanteuse, l'Armurier, l'Indien... à noter l'humour de la tuile "Docteur" au recto et "Croque-mort" au verso), des nouveaux bâtiments et des Hors-la-lois bien casse-pieds qui s'attaquent aux bâtiments les plus riches selon une procédure simple. "Horses &Heroes" vous permettra de jouer à 6 (ce que je déconseille fortement), propose trois tuiles personnages supplémentaires (dont un qui ressemble beaucoup à John Wayne) mais surtout fait intervenir les chevaux, ces compagnons indispensables aux cow-boys qui vous permettront d'être meilleur sur les duels (ou les éviter), ou gagner des avantages grâce aux rodéos. J'aime beaucoup cette extension. En revanche, celle des Hors-la-loi introduit un chaos qui peut être plus ou moins apprécié.
Carson city, encore aujourd'hui, reste l'un de mes jeux de "poses d'ouvriers" favoris, parce qu'il n'est pas plan-plan, parce qu'il est élégant, parce qu'il est moins calculatoire que la plupart des jeux de sa catégorie, parce qu'il fait grincer des dents les optimiseurs aux cerveaux plus gros que le mien, parce qu'il est plein de mécanismes sympas et variés (mention spécial aux pouvoirs différents des personnages selon l'usage du recto ou du verso des tuiles) et puis parce qu'il me fait passer de très bons moments ludiques, tout simplement.