Constatation préliminaire: Ce jeu ne vaut qu'avec son extension "Civilizations", sans laquelle il perd quelques équilibrages bienvenus (les aléas de la voie militaire sont un peu plus pondérés, notamment), et surtout sa direction thématique puisque l'indispensable addon introduit 14 civilisations caractérisées par divers pouvoirs et améliorations parfaitement intégrées au système de base, ainsi que 3 leaders différents pour chacune d'elles. Seule objection possible: le grand bac à sable perd quelques mètres carrés, puisque chaque civilisation ajoute des itinéraires aux voies déjà pavées par les cartes d'objectifs.
Cela étant dit qu'avons-nous sur les bras?
L'un des meilleurs jeux de stratégie & développement et à mon avis le plus gratifiant.
eXplore, eXpand, eXploit and eXterminate, oui, dans le genre "4x" - terminologie transbahutée depuis les jeux vidéo de même acabit - Clash of Cultures fait figure de synthèse quasi-terminale pour au moins 6 bonnes raisons:
1) - Il y a une carte embrumée à explorer!
Et oui, Through the Ages est aussi cérébral que passionnant, mais moi il me faut une carte sous les yeux pour y voir croître et décroître la civilisation que je dirige en démiurge. De ce point de vue, la modularité de cette carte que l'on révèle au fur et à mesure par gros pavés de quatre hexagones est pratique et bien pensée - L'illustration des différents territoires y est quant à elle efficace, ni plus ni moins.
2) - C'est un bon gros bac à sable.
Trois actions parmi 6 possibles doivent être réalisées à chaque tour, sachant qu'une partie se solde en 6 manches de 3 tours chacune. Parmi ces actions il y a l'incontournable développement des connaissances Technologiques/Scientifiques/Idéologiques/Militaires/Culturelles qui améliorent l'efficacité de la civilisation et lui imprime ses trajectoires stratégiques. Il y en a 48 (+4 avec l'extension) étalées sur un confortable panneau de contrôle distribué à chaque joueur, et leur modalités d'accès sont suffisamment souples pour autoriser une multitude de stratégies toutes aussi viables les unes que les autres (Il y a quand même quelques combos bien poilus dans le tas). Associées aux actions "physiques" réalisées sur le plateau via les figurines, ces opportunités grisent par leur variété et leur modularité.
On explore pas tant un territoire que le jeu lui-même à chaque partie.
3) - Les actions et leurs conséquences ne sont pas mécaniques, mais thématiques.
Les grands principes du jeu s'emboîtent logiquement et naturellement - le développement de la civilisation placée sous notre tutelle produit des effets nets sur le déroulé du jeu et est formellement visible sur le plateau, notamment grâce aux figurines représentant les villes : Une petite colonie ronde d'abord, autour de laquelle viennent s'ajuster diverses extensions et bâtiments - quatre au maximum parmi un choix de sept différents. Bonne idée. En définitive, un point de victoire marqué ne vient pas de nul-part: il est la trace mémorable d'une évolution significative accomplit par une civilisation à un moment de son histoire, et s'inscrit dans un cheminement parfaitement lisible.
4) - C'est pas (toujours) la taille qui compte.
Trop souvent dans ce genre expansionniste mâtiné de contrôle territorial sévit un écueil légèrement agaçant qui appauvrit la potentielle richesse mécanique et thématique du jeu : La prévalence de la domination militaire comme stratégie gagnante et son inévitable corolaire, la course à l'armement.
Rien de tel pour plomber une partie sous la contrainte et sceller bêtement son issue à mi-parcours.
Dans Clash of Cultures la guerre est (heureusement) toujours une option qu'il ne faut surement pas négliger, mais elle n'a plus rien de systématique tant l'énergie et les ressources qu'elle mobilise s'avèrent décisives sous d'autres rapports: Pendant que vous fourbissez patiemment vos armes d'acier et votre jeunesse ultra-nationaliste, vos adversaires accroissent leur soft-power en développant leurs réseaux commerciaux ou en favorisant leur influence culturelle, stratégies tout aussi efficaces s'il s'agit d'accumuler des points de victoire, spécialement lorsqu'un objectif lucratif en la matière vous y invite de manière opportune. Il vaut donc mieux rester souple, et se méfier de toute spécialisation prématurée.
À ce titre, la possibilité d'influencer culturellement une ville adverse propose une alternative aussi efficace que gratifiante - matérialisée par le changement de couleur d'un bâtiment ennemi, elle introduit une forme de parasitage qui rapporte des points de victoire au détriment du parasité, sans qu'une goutte de sang soit versée. Le principe est fort sympathique, cependant géré par un lancé de dé ajustable comme lors des combats armés.
5) - Le hasard est aussi ludique que légitime.
La diversité sans cesse renouvelée des parties est appuyée par l'intervention hasardeuse d'objectifs contraignants mais/car généreux en points de victoire, ainsi que par d'inévitables événements qui font s'abattre calamités et barbares sur les joueurs sitôt qu'ils franchissent certaines étapes clef de leur développement culturel et civique. On peut légitimement s'offusquer de cette dimension aléatoire génératrice d'injustices et de frustrations passagères, mais elle s'intègre pertinemment à la mécanique et, osons le mot, à la philosophie de ce jeu décidément très soucieux de son thème: Si je dois simuler le développement d'une civilisation antique, les châtiments divins ne me choquent pas et j'aime faire avec, comme j'aime composer avec des probabilités à la louche! D'autant que ces contraintes et ces vicissitudes, outre qu'elles rebattent les cartes d'une histoire qui serait sans cela linéaire et ennuyeuse, font également surgir de nouvelles opportunités de développement pour qui sait les saisir au vol - en somme, la victoire appartient peut être aux bons gestionnaires, mais aussi et surtout aux fieffés opportunistes.
6) - C'est long, et c'est tant mieux.
Le temps nécessaire à la conclusion d'une partie reste supportable, ce qui est une bonne nouvelle compte tenu de la catégorie à laquelle appartient ce jeu. Il faut tout de même compter trois bonnes heures avec trois ou quatre joueurs en bonne condition physique, à condition que chacun prépare un tant soit peu son tour pendant que les autres agissent. Ça reste quand même conséquent, certes, mais peut-on sérieusement envisager moins pour ce genre de jeux fondamentalement basé sur une progression lente et graduelle? En tout cas les parties ne s'éterniseront pas à cause d'objectifs sans cesse repoussés par les circonstances, puisqu'elles s'achèvent après un nombre de tours fixe (Ou après l'élimination d'une civilisation!), après quoi chaque joueur fait le compte des points de victoire accumulés pour déterminer le vainqueur.
On a donc bien affaire à un compromis transatlantique: De la gestion et du développement planifié comme on l'aime de parts et d'autres du Rhin, et du hasard plus ou moins pondérable comme l'affectionnent les Yankees. Du fun cérébral en somme.
Le point le plus décevant proviendra des figurines de fantassin, plutôt moches et moulées dans un plastique mou suintant particulièrement médiocre. Certains acharnés dont je suis ont vite fait de les remplacer par des modèles au 1/72ème piochés chez Zvezda et/ou Caesar Miniatures, histoire de vraiment refaire l'Histoire, mais à grands frais. D'autres encore, dont je suis également, préféreront remplacer toutes les figurines par des meeples en bois. D'autres enfin, dont je ne suis pas, s'en ficheront comme d'une guigne, et ils auront bien raison.
Pour compléter tout ça:
- La civilisation promo: Les Aztèques sur BGG:
- Des figouzes en dur pour les sept merveilles chez Shapeways: ?optionId=56051987
- Des cubes en bois plutôt qu'en plastoc dégueu: