Plutôt éclectique et bon public, je prends plaisir aussi bien avec des jeux de gestion familiaux, des jeux de figurines, des jeux d'affrontements, des coopératifs ou des jeux d'ambiance mais il existe un jeu au succès retentissant qui me laisse indifférent : Dominion.
Je ne mets nullement en cause toutes les qualités relevées par les nombreux amateurs du jeu : accessibilité, fluidité, rejouabilité (9 extensions ! plus de 1000 cartes !), nombreuses options stratégiques... mais je n'ai pas envie d'y jouer. J'ai du faire une vingtaine de parties à 2, 3 et 4 essentiellement avec la boite de base mais aussi avec une extension.
Réflexion faite, j'ai trois problèmes avec Dominion : le deckbuilding, l'interaction et le thème.
- le deckbuilding est une mécanique ludique qui ne me convient pas. Je trouve pénible de mélanger ses cartes toutes les deux minutes, voire moins ; je ne trouve pas cohérent de mettre dans sa défausse la carte achetée (je l'ai achetée et je ne peux pas en disposer ! et je ne sais pas quand je la reverrai !) ET l'argent consacré à l'achat (un achat est pour moi un échange, ici argent/carte : je me "débarrasse" de l'argent pour acquérir quelque chose qui m'intéresse et dont je veux profiter). Finalement je crois que j'aime les systèmes de jeu qui ont une certaine cohérence avec ma psychologie et ma logique (c'est pour cela que je trouve par exemple idiot le système de tir à distance de Zombicide, amélioré dans la dernière mouture).
De même, avec le deckbuilding, j'ai toujours l'impression que le brassage permanent des cartes introduit inévitablement un hasard désagréable (ne jamais récupérer la carte que l'on souhaite au bon moment). Je sais que les nombreuses statistiques montrent qu'un joueur à 1000 parties battra un joueur à 500 parties qui battra un joueur à 100 parties qui battra un débutant, ce qui montre que le hasard est globalement maitrisable mais je ne peux m'empêcher de le trouver trop présent.
Le diagnostic semble clair : Dominion est un jeu de deckbuilding, je n'aime pas le deckbuilding donc je n'aime pas Dominion. Mais ce n'est pas si simple car j'apprécie "The big book of madness" (où le deckbuilding est certes plus marginal) et j'adore "A few acres of snow".
Il y a donc autre chose.
- l'interaction : dans Dominion on trouve deux types d'interaction. La première liée aux cartes attaques perturbe les plans de l'adversaire, le ralentit dans sa progression.
Pour être efficace à Dominion il faut analyser les cartes disponibles, repérer les enchainements/combinaisons performants et mettre en application sa stratégie. Attaquer l'adversaire n'est souvent qu'une conséquence indirecte (la carte utile s'avérant être une carte attaque) et ne peut en aucun cas constituer un objectif principal. Il est assez rare que l'on modifie fondamentalement sa stratégie suite à des attaques; au mieux on l'adapte un peu.
On joue finalement dans son coin alors que ce n'est pas du tout le cas d'"A few acres of snow".
Le second type d'interaction est encore plus indirect car il faut simplement surveiller son adversaire pour ne pas se faire distancer. Très schématiquement le jeu est généralement en deux phases : chacun met en place sa stratégie puis se précipite sur les points de victoire et la fin de partie. Cette bascule, élément crucial du jeu, doit intervenir au bon moment (inefficace trop tôt, trop tard pris de vitesse part l'adversaire). C'est sur ce point, délicat à maitriser, que les meilleurs joueurs font la différence. Mais on peut à peine qualifier cela d'interaction.
-le thème : pour le coup les admirateurs et détracteurs de Dominion sont unanimes : il est inexistant même si certaines extensions font des efforts là-dessus. Ce point est commun à beaucoup d'autres jeux comme par exemple les récents et très appréciés Orléans et Mombasa qui chacun dans leur genre proposent des exercices intellectuels plutôt froids et abstraits derrière lesquels on distingue plus les algorithmes et équations d'équilibrage que le Moyen-age ou l'Afrique. Et comme je ressens d'autant plus de plaisir à un jeu que je le trouve en adéquation avec son thème (notion subjective j'en conviens), Dominion, brillante mécanique sans ame, me laisse froid là où "A few acres of snow" emporte mon adhésion.
J'aime certains jeux sans thème, j'aime certains jeux sans interaction et j'aime certains deckbuildings mais le cocktail des trois ingrédients n'est pas fait pour moi.
Je fais ainsi partie des joueurs, minoritaires mais nombreux, qui restent à l'écart du succès de Dominion et quand je regarde avec incrédulité la montagne d'extensions dans les magasins, je me dis que c'est finalement bien pour mon portefeuille et mes étagères.