Co-auteur du jeu, il me semble plus honnête de livrer ma vision et mes appétences ludiques, qu’un avis camouflé sous les traits d’un joueur qui aurait ‘adoré’ Edgar & Lucien.
Notre réflexion a commencé par le constat qu’un triple immobilisme -de mécaniques, d’équilibres et de dynamiques- sanctionnait beaucoup de jeux de stratégies.
1- Immobilisme de mécaniques, d’abord. Les jeux de gestion sont souvent trop prévisibles, et trop similaires. Pose d’ouvriers, optimisation de denrées, accumulation de points de victoire... rien ne vient vraiment -mis à part une relative diversité d’univers et quelques particularismes rafraîchissants- renouveler cette expérience. Et c’est vraiment dommage, tant les similitudes étouffent les différences.
2- Immobilisme d’équilibres, ensuite. Les jeux qui s’axent sur l’optimisation de ressources présentent (à mes yeux) deux défauts : premièrement, très souvent, une stratégie va être gagnante par rapport à une autre (même si parfois, elle n’est perceptible qu'au bout de plusieurs parties). Et de fait, un style de jeu risque de dominer, à terme, le ‘métagame’. Cela impliquera qu'un joueur ‘expert’ et / ou qui aura réussi son début de partie sera forcément en avance sur un joueur moins expert, qui va subir de fait la partie. Corollaire de ce premier constat, une seconde problématique en découle : faire la partie derrière, sans vrai espoir de renverser les choses, est très frustrant. Pour illustrer de manière claire ce point, sur Le Trône de Fer 2nde édition, un 1er tour raté en Lannister est l’assurance de subir 3 à 4 heures de partie sans la moindre chance d’être couronné.
3- Immobilisme de dynamiques, enfin. Une des compétences maîtresses des stratèges est la tactique : savoir sacrifier un avantage pour en acquérir un autre, plus grand ; savoir mettre en péril un équilibre pour créer un déséquilibre à son endroit. Pour faire un parallèle avec le jeu vidéo, cette différence peut être illustrée par l’écart de dynamiques entre Age of Empires (que j’adore) où vous construisez une civilisation inébranlable avant d’en envoyer l’armée affronter celle du voisin, et Starcraft (que j’adore aussi) où vous pouvez remporter une partie contre un adversaire ayant un net avantage, grâce à une escarmouche efficace.
Je précise qu’il ne s’agit nullement là d’un réquisitoire contre un univers ludique qui m’a fait vivre des moments formidables, mais simplement d’un constat me permettant d’apporter modestement ma pierre à l’édifice, et que cette pierre me ressemble.
Certes, la ou les premières parties d’Edgar & Lucien peuvent laisser perplexe, dubitatif. Mais nous (Basile, mon cousin de co-auteur) et moi-même sommes vraiment heureux du résultat final. Immergés depuis tout petits dans les jeux de société, les jeux de rôle papier, les jeux vidéos, le poker pro ; nous avons travaillé pendant plus de 3 ans sur Edgar & Lucien afin qu’il nous plaise vraiment, quitte à tout remettre sur la table quand un détail d’équilibrage nous chagrinait. Après des centaines de parties de test et un sevrage nécessaire d’un an, nous y avons rejoué avec le même plaisir.
Et si le plaisir peut être partagé avec vous, c’est encore mieux.