Robert Abbott aime la Grèce antique et la mythologie. Jugez plutôt. Parmi les jeux dont il est l’inventeur, l’un se nomme Eleusis, un second, ci-devant, Epaminondas, et si l’on élargit la recherche à ses casse-têtes logiques (les fameux Mad Mazes) on découvre encore que le thème du labyrinthe est chez lui récurrent : Theseus and the Minautor. En outre, quand Robert laissa Big Apple pour les pamplemousses de Floride où croyez-vous qu’il jeta son balluchon ? A Jupiter ! Cela ne s’invente pas.
Ses jeux ont rarement eu les faveurs de l’édition. Pourtant Robert Abbott est un auteur culte. Considéré même par certains comme l’un des plus grands, à l’égal d’un Sackson ou d’un Randolph, ses compagnons de route. Et bien que ce dernier l’ait maintes fois exhorté à mettre un peu d’eau dans son vin, Robert Abbott n’a jamais dévié vraiment de sa ligne : faire des jeux de réflexion bigrement chauffe-neurones. Des jeux, facteur aggravant, au matériel simple voire minimaliste. Le plus souvent fait d’emprunt : là un jeu de cartes pour Eleusis, ici un jeu d’échecs pour Ultima. Epaminondas - l’un de ceux ayant reçu l’onction de l’édition- n’échappe pas à la règle. Les composants se réduisent à un damier - d’un format inusité 12 x 14 - et à un set de pions de deux couleurs. Pour les besoins de l’édition, le jeu abandonna son ancienne désignation de Crossings pour Epaminondas glanant ainsi un thème - la phalange macédonienne - dont on verra plus loin qu’il n’est pas si décalé que cela.
L’objectif du jeu, contrairement à quoi l’on pourrait s’attendre, n’est pas de décimer les troupes adverses même si, il faudra en passer par là pour l'emporter. Non, l’objectif est de faire atteindre à l’un de ses hoplites l’ultime ligne de défense du camp opposé et de préserver cet avantage durant le tour qui suit. La défaite, alors, pourra être évitée soit par la capture de la pièce, soit en annulant l’avantage par un mouvement symétrique d’une de ses pièces. Ces règles de fin de partie, disons-le, sont d’une très grande élégance. Durant le jeu, pour gagner en mobilité ainsi qu’en force de pénétration les hoplites doivent impérativement s’agglomérer de manière à former des alignements compacts. Verticales, les phalanges sont plus offensives ; en diagonal, elles contrent sur les flancs et permettent de scinder les forces adverses en des sections numériquement plus faibles ; à l’horizontale enfin, elles font office de dernier rempart. D’où cette géomètrie rectangulaire du plateau plus large en défense que profond en attaque. Sur un plateau d'une telle dimension, les parties, curieusement, se révèlent très dynamiques, et l’on reste chaque fois stupéfait qu'un ensemble de règles aussi simples retranscrive avec pareille force une bataille antique : notamment la suprématie tactique dans la mêlée de la phalange dite oblique. S'il fallait un jour rethématiser le jeu, je songerais spontanément au rugby - un jeu à 28 (15+13)! Au contact, les phalanges jouent ici le même rôle que des mauls de fixation avant que l'attaque se redéploie sur la largeur pour aller toucher à l'en-but.
Epaminondas brille enfin par sa clarté, comme l’a voulu Robert Abbott. Bien des jeux de stratégie abstraits souffrent, en effet, du même problème de lisibilité en profondeur des coups à venir. Epaminondas en la matière est un modèle de prise en main et de jouabilité immédiate.
On ne pourra nourrir ici qu’un seul regret : qu’un éditeur de la trempe d’un Jactalea n’ait pas encore pensé à relooker Epaminondas et les autres jeux de Robert Abbott pour nous en offrir une édition. Ils le méritent.
Allez messieurs prenez langue avec Robert !