J'apprécie tout particulièrement Fury of Dracula (magnifique 3ème édition avec une VF de grande qualité) qui est un jeu immersif plein de qualités et de défauts qui, à mon sens, contribuent directement et indirectement à son charme si particulier.
Tout d'abord, Fury a un aspect un peu désuet (son côté « vieux classique », la première édition datant de 1987...) qui exerce (au moins sur moi) un certain attrait, un peu comme le Dracula de Tod Browning qui, si il peut aujourd’hui parfois prêter à sourire, continue à laisser une empreinte indélébile dans l’imaginaire cinématographique avec notamment la figure de Bela Lugosi toujours aussi prédominante dans l’iconographie vampirique (comme le montre d’ailleurs la couverture de la boîte de cette 3ème édition).
De plus, le jeu impose des étapes pas forcément intuitives et presque obligées pour pouvoir générer et goûter à toutes les finesses et plaisirs dont il regorge, étapes qu'on ne découvre qu'après un peu d'expérience:
1-planification d’un quadrillage géographique efficace de jour par les chasseurs (loin d’être inintéressant mais il faut accepter sans s’affoler que c’est à l’aveugle (donc potentiellement frustrant) et que l’on peut tarder à trouver une trace) + pioche de cartes évènements de nuit (à répartir donc en fonction des tirages entre Dracula et les chasseurs: sorte de 2ème étape de mise en place du jeu) et échanges efficaces d’objets (à bien planifier en fonction du quadrillage du terrain: Mina peut par exemple passer d’un personnage à l’autre pour continuer à pouvoir utiliser son pouvoir tout en servant d’intermédiaire pour des échanges/transmissions pertinents d’objets) + échanges d’évènements (via le pouvoir de Van Helsing). Mine de rien, ça fait beaucoup à faire pour les chasseurs et c’est tout sauf simple. Mais cet aspect initial est loin d’être évident de prime abord, n'est pas intuitif (on s’attend à rentrer tout de suite dans un Scotland Yard like d’où la déception fréquente et légitime quand on découvre le jeu en novice sans savoir trop quoi faire d’efficace), pourra provoquer des sautes de rythme et dont l'enjeu principal pour les chasseurs sera de chercher à se mettre dans des contextes où ils pourront toujours faire une action efficace (éviter à tout prix le: "bon, ben je vais prendre un billet de train parce que je ne sais pas quoi faire d'autre...").
2-une fois une trace trouvée, les problématiques ci-dessus persistent mais elles doivent se mettre au service de la nécessité impérieuse de mettre la main au plus vite sur le Comte, priorité qui doit prédominer à la résolution des saloperies qu'il aura semé en cours de route (type aller occire un vampire de 2ème zone). On intègre à partir de là l’aspect plus attendu, à la Scotland Yard, d’enquête/déduction de position.
3-le Comte une fois débusqué doit être attaqué sans pitié (et sans trop de crainte surtout si l’on est plusieurs bien munis en objets efficaces et complémentaires) et harcelé (harcèlement qui peut s’avérer redoutablement efficace surtout si l’on a bien conservé et réparti certaines cartes évènements). Dracula pourra bien évidemment tenter de retarder l’échéance du combat, de s’échapper au moyen de ses cartes (combats ou évènements), voire heureusement de se défendre efficacement ce qui pourra entraîner la remise en route formelle des étapes 1, 2 et 3 (comme si on reprenait les étapes d’un tour de jeu). D'ailleurs, quant au Comte, là où je pensais qu’il pouvait plus que dans Whitechapel et Scotland Yard se découvrir (pour agresser un personnage adverse isolé par exemple), et même si ça reste une possibilité qui lui est offerte et qui peut s'avérer pertinente, il a à mon sens tout intérêt au moins en début de partie à rester planqué et à tout faire pour fuir. On a donc plus intérêt avec lui à rester, au moins au début, dans un schéma plus classique de jeu de chat et souris. Après, plus le jeu avance, plus il sera fort et plus il sera fort, plus il pourra éventuellement faire quelques sorties pour accélérer pertinemment le cours des choses. Mais Dracula n'a en général pas trop intérêt à montrer les muscles alors qu'on aimerait bien qu'il en soit ainsi quand on incarne le Comte...
Une fois une ou plusieurs traces trouvées et ce que j’appelle la phase de "distribution préalable" effectuée avec la répartition des cartes évènements et objets suite aux différentes actions (cf point nº1 ci-dessus), le jeu commence vraiment, prend alors une dimension thématique, romanesque et dramatique supplémentaire et devient encore plus fin (optimisation des mouvements de part et d’autre moins à l'aveugle pour les chasseurs, valorisation des pouvoirs, gestion des regroupements pertinents des personnages en fonction des contextes, décisions particulières et sûrement différentes d’une partie sur l’autre à prendre tant par le comte que par les chasseurs en fonction justement de la répartition des cartes: plus ou moins de cartes favorables en la possession de chacun et évaluation de l’impact de leurs effets potentiels, etc.).
A noter que j’ai adoré comment la vivacité et violence des combats était restituée (avec son côté pierre-feuille-ciseau plus ou moins contrôlable en fonction des cartes des chasseurs connues par le comte et du nombre d’adversaires mais toujours très ancrée thématiquement: incertitude puis surprise du Comte face à un objet que lui sortent ses adversaires et qui lui fait du mal (type crucifix, balles en argent, gousse d'ail), etc.). Ils ont de plus un côté visuel assez fouillé et rigolo, les cartes se répondant logiquement (tentative d’hypnose du comte vs coup de poing dans sa tronche, tentative de coup de griffe vs esquive, etc.), le bluff s’intégrant parfaitement à la dynamique et à la tension violente d’un combat au corps à corps. On a donc une sensation cinématographique assez spectaculaire qui donne au final une dimension originale et très rythmée au combat.
Fury est un peu le pendant à l’américaine au génial et beaucoup plus épuré Whitechapel. Les deux donnent au final des sensations très différentes (Whitechapel est plus tendance Eurogame et Fury plus Ameritrash). Les finalités, le rythme et les ressorts y étant très différents et on a donc deux enfants de Scotland Yard radicalement opposés et essentiels pour ceux qui, comme moi, adorent ce type de mécanique ludique.
A noter que je ne trouve pas que la config 5 joueurs soit la config idéale pour La Fureur de Dracula. Je pense que 3 joueurs est optimum afin que chacun des 2 chasseurs ait 2 personnages à jouer ce qui leur garantit d’avoir des trucs variés à faire et de maintenir en éveil à tout moment la moulinette cérébrale. Par contre, contrairement à Whitechapel qui est idéal à 2 (je n’envisage même pas de le jouer dans une autre config), Fury ne me semble pas optimal à 2 vu que là par contre pour le chasseur, cela me semble un peu too much avec notamment beaucoup de cartes et pouvoirs à lire et à gérer entre les 4 persos. De plus, pour Dracula, le temps d’attente potentiel dans cette config se trouvera décuplé vu le temps de réflexion nécessaire pour 1 chasseur aux prises avec actions, pouvoirs et cartes de 4 personnages… Donc, à 2 je sors Whitechapel, à 3 Dracula et à plus, je joue à autre chose!