Difficile de ne pas penser à 7 Wonders et Bunny Kingdom en voyant Genesia. On est après tout face à un jeu de draft de cartes proposant de construire une civilisation sur trois âges par la pose de jetons sur un plateau dont on cherche à contrôler les régions. À première vue, cela fait beaucoup de similarités, et pourtant, même si l’on peut être très légitimement attiré par d’autres jeux de civilisation à base de draft (et qui ne le serait pas ?), l’analogie est parfaitement fausse tant Éric Labouze parvient à produire de sensations différentes.
Outre les superbes illustrations de Fabrice Weiss et Alexei Iakovlev, la grande force de Genesia est dans sa variété. Variété radicale des âges, qui parviennent à traduire mécaniquement certaines différences entre la Préhistoire, le Moyen Âge/Temps modernes et le futur, et offrent ainsi une nouvelle manière d’aborder le monde à partir des acquis de l’ancien. Variété radicale des cartes, chacune offrant des opportunités très différentes des autres et ouvrant donc la voie à des options tactiques que l’on n’aurait simplement pas envisagées sans leur récupération.
Ces cartes Âge sont d’autant plus essentielles pour comprendre ce qui fait de Genesia un titre passionnant qu’on n’en posera pas plus de 15 au cours de toute la partie, 5 par âge maximum si on n’en défausse aucune pour récupérer de précieuses pièces. On ne les choisit ni ne les utilise donc à la va-vite, mais on doit essayer de les inscrire dans une optimisation réfléchie de sa peuplade. Boostera-t-on plutôt sa croissance, son expansion, son agressivité, sa capacité défensive, son inventivité, préférera-t-on se récompenser déjà du travail accompli, prendre de l’avance sur les points au détriment d’une avance civilisationnelle ? La conscience qu’on ne pourra pas tout faire, loin de là, met la tension à son comble…
Une telle variété pourrait faire craindre le chaos, surtout avec l’interactivité inhérente au système de déplacement des clans sur les plateaux, avec l’avantage accordé au joueur capable d’investir au mieux le continent central de Genesia et les continents de ses adversaires. Encore une fois, la limite du nombre de cartes à chaque âge et leur différence fait des miracles : on n’aura qu’exceptionnellement intérêt à en sélectionner une pour qu’un autre ne l’ait pas, et le jeu ne récompensant pas l’agressivité en soi (par des points pour chaque victoire par exemple) mais seulement certaines de ses conséquences (par la possession de nouveaux territoires ou le blocage de l’expansion d’un adversaire), et toujours en entraînant un coût (l’attaquant perd autant de clans que l’attaqué), elle devient une option plus qu’une nécessité, à laquelle il ne faut céder que ponctuellement avec la certitude qu’elle nous avantagera vraiment.
Entre son équilibrage remarquable, son interaction mesurée et un certain plaisir matériel constamment associé aux jeux Super Meeple, Genesia fait très vite oublier sa dimension relativement abstraite pour nous plonger dans une valse de clans très stimulante.
On ressort de Genesia avec une confiance encore accrue en Super Meeple, qui pour son troisième jeu original seulement continue de frapper fort ; avec la soif d’une extension (et Super Meeple vient justement de sortir la première extension de son catalogue pour Couleurs de Paris), qui pourrait contenir de nouveaux types de pions, de nouveaux plateaux, surtout de nouvelles cartes ; et avec une grande curiosité pour les prochains travaux d’Éric Labouze et de sa maison Citizen Game (dont c’était quand même le premier jeu !)… D’autant qu’il oeuvre déjà sur Climax, et que la tranche de la boîte envisage vaguement une « suite » à Genesia !
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