J'étais assez impatient de tester Gloomhaven, le jeu qui reçoit, depuis sa sortie, moult compliments, ici comme ailleurs. Ce fut une véritable douche froide et je vais essayer d'expliquer pourquoi.
Première impression, trop de matériel tue le matériel. A ce niveau là, ce n'est plus de l'améritrash, c'est juste aberrant; il ne faut pas moins de deux tables (voir trois) pour déployer la carte du monde (évolutive et magnifique), le plan du donjon que l'on va explorer (car cela reste du dungeon crawling), les cartes de monstre (que l'on glisse dans des pochettes avant chaque combat), les decks de dégâts (un par groupe de mobs et par PJs), les marqueurs, les decks d'événements aléatoires, et j'en passe. Il y a tellement de choses en fait... qu'on en oublie la moitié. L'ergonomie est donc loin d'être au top et plusieurs fois durant la partie, nous nous sommes rendus compte que l'on avait oublié un état, une habileté, un truc qui aurait changé le résultat d'une passe d'armes ou d'une action. Au delà de ça, la fluidité s'en ressent grandement, contribuant à la "lourdeur" de l'ensemble.
J'ajouterai que pour un jeu de ce prix, le matériel n'est pas exceptionnel; hormis la carte du monde et les plaquettes pour les personnages (les illustrations sont superbes), les pions sont quelconques, les silhouettes cartonnées des monstres sans plus, et surtout, les dalles de donjon au coeur de l'aventure très fades (un carrelage orangé sans fioriture), surtout si on les compare à ce qui peut se faire chez FFG (Descent, Imperial Assault) ou Edge (Massive Darkness). Pas de claque visuelle donc, mais qu'importe le flacon pourvu qu'on est l'ivresse...
Malheureusement, là encore, le bât blesse.
Commençons par le storytelling. Présentée comme une aventure à choix multiples, Gloomhaven s'apparente plutôt à un livre dont vous êtes le héros aux embranchements binaires; un événement inattendu, un choix de quêtes, tout se résume à choisir "A" ou "B". Rien de plus ! Alors bien sûr, chaque personnage à un background, on sent que l'univers est travaillé, que l'auteur est passionné, et les textes sont de qualité. Mais la notion "d'aventures passionnantes" est largement tronquée par ce côté LDVELH. La liberté n'est pas vraiment là et quels que soient les choix que l'on fera, on aboutira toujours à une map avec des hexagones pour une très longue et peu passionnante séquence de combat "tactique".
Pour faire simple, chaque personnage se voit doter d'un deck d'actions (une dizaine de cartes) parmi lesquels il devra en choisir deux à chaque tour. Ces cartes seront soit écartées temporairement soit définitivement (les actions les plus puissantes) après avoir été jouées. Si un personnage n'a plus la possibilité de jouer deux cartes, il est épuisé. Un principe de repos long et de repos court permet de récupérer sa défausse mais toujours au prix d'une carte écartée définitivement. Plus on traine dans le donjon, plus on perd de cartes et de ce côté là, l'attrition est très bien rendue. C'est le point fort du système !
Malheureusement, là où cela pêche, c'est que cette phase de brainstorming revient à chaque tour et que le rythme s'en retrouve complètement haché. Toutes les cinq minutes, on se retrouve à passer dix minutes le nez plongé dans ses cartes à choisir celles que l'on va jouer. Cela brise carrément l'immersion... et la coopération ! Car en effet, si on a le droit de parler tactique avec ses coéquipiers, on n'a revanche pas le droit d'indiquer son initiative (déterminée elle aussi par les cartes choisies). Voir que l'action que l'on avait soigneusement préparé tombe à l'eau parce que la magicienne du groupe est venue se mettre sur la trajectoire qu'on convoitait en agissant juste avant nous, et se retrouver à faire des actions basiques en convertissant ses cartes, voir perdre son tour et ses cartes sans rien faire, est un tantinet frustrant et bien loin de la sensation d'être un héros livrant un combat épique.
Ajoutons à cela que la coopération est également limitée par le fait que chacun loot pour sa pomme (pas d'échange d'objets possible) et a un objectif personnel à accomplir pour progresser, et on se retrouve avec des blocages entre joueurs (volontaires ou non) qui finissent par enquiquiner tout le monde.
A ces défauts déjà bien pénibles, il faut encore ajouter que tout, absolument tout, s'effectue avec des cartes. Même un simple mouvement quand il n'y a plus d'ennemi dans la salle que l'on explore ! Se taper une énième phase de brainstorming sur les cartes que l'on va sacrifier pour se déplacer de 3 ou 4 cases vers la prochaine porte, comment dire... bonjour l'ennui ! Imaginez un Baldur's Gate où seul le tour par tour serait disponible pour explorer la carte !
Passez l'excitation de la première salle et de la découverte du système, je n'ai pris aucun plaisir particulier à explorer la crypte dans laquelle nous étions; la map est pré-établie, les ennemis pré-positionnés (ce qui entraine au passage un "chouette" lag' à chaque ouverture de porte lorsqu'il faut positionner les monstres à la case près), les événements scriptés (tiens, il y a un pion "1" sur cette porte donc on sait qu'un truc va nous tomber dessus quand on va l'ouvrir). A côté d'un dungeon crawler à la Massive Darkness où on ne sait pas ce qui va spawner dans la pièce suivante, ça fait un peu tâche !
En conclusion, cette expérience m'a terriblement refroidit et je vous avouerais que j'ai pris autant de plaisir que devant un épisode de Derrick (c'est à peu près le même rythme). Quitte à faire du combat tactique entrecoupé de scènes de vie en ville, je préfère encore une bonne séance de jeu de rôle. Une vraie déception...