Quatre manches composées de trois phases où l’on réalise les actions de ses cartes et des sept zones du plateau, chacune donnant lieu à plusieurs options. Voilà une bonne description d’un eurogame tentaculaire, inabordable pour le commun des mortels, promettant des parties très longues et une courbe d’apprentissage considérable pour qui se consacrerait à son domptage. Et pourtant… La première et la troisième phase ne sont qu’une mise en place et une conclusion de tour, imposant des gestes clairs, peu nombreux et relativement logiques, en pertinence avec l’idée d’un matin et d’une nuit. Pendant la deuxième, on ne pose guère à tour de rôle qu’une carte pour réaliser ou non l’action du lieu où elle a été posée, et les actions alternatives des lieux ne sont jamais que des versions avancées des actions de base, fonctionnant sur un principe relativement similaire de lieu en lieu.
Par ailleurs, le choix de la carte et du lieu ne se fait pas aveuglément, froidement, mais est conditionné par l’intérêt de la carte déjà présente sur le lieu (autant sa valeur que son effet), par les Dés du Destin qui à chaque tour valorisent certaines options plutôt que d’autres, par la nécessité d’arriver au Pavillon si l’on veut seulement avoir un score en fin de partie, par la course avec ses adversaires sur la Grande Muraille, et ensuite seulement par différentes possibilités de marquer des points dans ce qui semblera le plus habile compte tenu du nombre de serviteurs à sa disposition. Chaque pose d’une carte fait ainsi vibrer le monde de Gùgōng, il témoigne d’une prise en compte de ses conditions actuelles pour un résultat optimal, et le transforme juste assez pour imposer au joueur suivant de s’adapter à la nouvelle configuration. On se rendra ainsi vite compte que sept lieux disposant chacun de son système, c’est juste assez pour que la réflexion soit passionnante sans engloutir le novice dans une impossible analysis-paralysis.
Si le jeu est conseillé à partir de 12 ans malgré cette richesse, c’est sans doute en grande partie grâce à l’impressionnante lisibilité des règles, des cartes, des plateaux, qui font d’une oeuvre technique un voyage étonnamment fluide. Il va de soi qu’à partir de 14 ans, on comprendra mieux la pertinence des choix à faire et leurs nombreux enjeux indirects (en particulier la nécessité de penser aux serviteurs pour assurer les actions suivantes, pas si évidente au début), mais il reste rare qu’un eurogame 14+ aussi consistant, sache se montrer aussi coloré, engageant et vivant, et se montre capable de faire aussi bien sentir l’existence des autres joueurs sans interaction directe, puisqu’il n’y a pas un geste qui ne concerne tout le monde.
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