Je n'avais fait qu'une partie rapidement achevée par la mort d'Hannibal (en jouant Rome, la chance du débutant) et le jeu m'avait laissé sur ma faim... Quelle erreur ! Je l'ai redécouvert à l'occasion de cette réédition et j'ai pris beaucoup de plaisir à y mener plusieurs parties.
Le jeu est long, très long : une première partie jouée en ligne (confinement oblige) a duré 15 heures (en plusieurs sessions). Ce n'est pas une référence valable car nous avions le nez plongé dans les règles et nous avons (pour le moins) pris notre temps. Cependant, vous devez bien compter entre 30mn et 1h par tour et il y en a 9 si la partie va jusqu'au décompte. Autant dire qu'une durée de 4-6h est tout ce qu'il y a de plus réaliste sur ce jeu.
Cependant, je suis le premier à me plaindre de la durée des jeux: au-delà de 2-3h, mon attention ne suit plus : les Caylus, PowerGrid ou Twilight Struggle tombent dans cette catégorie et ne m'ont jamais enthousiasmé. Hannibal échappe totalement à ce phénomène car les parties sont âpres et dynamiques. Vous êtes totalement pris dans le flux du jeu.
Pour évacuer les défauts, je devrai aussi noter que le jeu a une part de chance non négligeable. Au niveau stratégique, un tour sans carte "campagne" (qui permettent de mobiliser plusieurs généraux à la fois et de voyager maritalement en nombre) ou pire, un tour sans carte de valeur 3 peut être difficile à gérer. Des jets de dés et des tirages de cartes bataille décideront en partie de votre sort et il n'est pas impossible qu'une armée en sous-nombre vienne à bout d'un adversaire plus puissant. Bien sûr, on vous dira que sur le nombre de parties, les meilleurs stratèges seront récompensés à juste titre mais est-ce acceptable sur un jeu d'une telle durée ? Là, encore - à contre-courant - je vais répondre oui. Oui, car cela reflète une certaine réalité : Cannae - la plus célèbre bataille historique d'Hannibal - est une victoire de David contre Goliath. Oui, car cela autorise des retournements de situation qui changent la donne et obligent à s'adapter. Oui, enfin et surtout car cela génère beaucoup de tension : on hésite à déclencher des hostilités, on pèse les chances que tel ou tel événement survienne. Jouer à Hannibal est une expérience / une aventure, plus qu'une mesure de performance.
Le design du jeu est une réussite. Il n'y a pas de "chrome" superflu (tel que les wargamers le définissent, c'est à dire des règles spécifiques et souvent obscures pour refléter telle ou telle réalité historique) mais le jeu est le parfait compromis entre simulation et jouabilité. On fait face aux affres d'Hannibal dans les Alpes, on découvre la difficulté pour les Carthaginois de mener un siège tel que celui de Sagonte, Hannibal retourne potentiellement en Afrique pour faire face au débarquement des légions de Scipio. Le jeu m'a donné envie d'en apprendre plus sur les guerres puniques et je n'ai pu que constater le soin apporté au jeu pour refléter la réalité de l'époque. En même temps, tout est très bien pensé en termes de règles, les forces et les faiblesses de chaque camp, l'asymétrie entre les troupes nombreuses (et sans cesse renouvelées) du romain face aux difficultés logistiques d'Hannibal, la pesanteur des consuls imbus d'eux-mêmes, la suprématie romaine, la présence des tribus gauloises favorable à Hannibal... Tout est fait avec le minimum d'effort pour un plaisir de jeu inégalé. Les règles demandent un peu de temps pour être appréhendées dans leurs détails mais tout s'assemble avec logique et au bout de 2-3 parties, on est rôdé aux mécanismes.
Au final, et c'est le plus important : le plaisir de jeu est au rendez-vous. Les parties ressemble à des montagnes russes niveau émotion : vous pouvez mener au score politique mais être mené militairement (ou vice versa), vous pouvez connaître un tour dévastateur et devoir gérer une main délicate, vous pouvez n'avoir qu'une issue possible : la prise de la capitale adverse et la mener à bien... Les batailles constituent un jeu dans le jeu qui offre de petites victoires au sein d'un ensemble plus grand (et aident à accepter la défaite quand elle survient). Celles-ci sont pour quelque chose dans la durée du jeu mais ajoutent beaucoup de tension : une faiblesse dans une "couleur" de cartes et l'on peut être à la merci de son adversaire... pour autant qu'il s'en rende compte !
Vous l'aurez compris, je suis conquis par ce jeu à la croisée des chemins entre jeu de plateau et wargame. Je le recommande d'autant plus chaudement que la dernière édition par Phalanx/Asyncron est superbe (plateau, figurines, cartes), sans commune mesure avec les précédentes versions.