J'en avais un peu assez d'écrire des "critiques" de jeu. Et après une petite dizaine de parties, Indonesia est venu me sortir de la torpeur. C'est un jeu énorme, absolument formidable.
Il est passionnant de bout en bout, fun, dynamique, fluide, tendu, immédiatement interactif et en plus, il entretient une relation stupéfiante au thème (la sournoise lutte économique au coeur des OPA avec ses enjeux directs et indirects; la concurrence qu'on favorise entre nos adversaires afin de les affaiblir sur leurs propres marchés et donc, sur d'autres potentiels; savoir abandonner à bon prix un secteur d'activité pour pouvoir mieux rebondir sur un autre émergent et porteur; jouer la diversification concurrentielle ou la spécialisation avec visées de monopole; savoir fusionner des entreprises à soi pour les fortifier face aux tendances du marché; investir dans une de nos entreprises afin d’accélérer son développement pour la rendre plus vite compétitive; etc.). Arriver à un tel niveau de cohésion avec le thème me semble unique et hallucinant...
Pragmatiquement, on fait fructifier des entreprises de riz, d'épices, de caoutchouc, de pétrole, de plats préparés (les Siap Faji). Ces marchandises ne rapportent que si on les transporte par bateau jusqu'aux villes demandeuses de ces produits. Or, comme on ne peut tout faire ni tout avoir, si l'on possède des entreprises de ce type, on ne possède pas forcément des entreprises de transport qui sont donc le plus souvent logiquement détenues par nos adversaires. Il faudra donc les payer pour acheminer nos marchandises à bon port (d'autant plus que, petite perversité, on est toujours obligé de vendre au maximum même si l'on devait perdre de l'argent au cours de l'acheminement trop long de certains produits)... Il y a aussi un système de "faveurs à la Caylus" où l'on grimpe chaque tour d'un niveau entre 5 axes de développement possibles. Les choix sont ici immédiatement très stratégiques tout en restant constamment tactiques (je m'adapte au mieux à ce que choisissent les autres et aux répercutions possibles de leurs choix). Enfin, il y a de nombreuses possibilités de jouer sur le timing (comme les blocages de dominances à Reef Encounter, Constantinople à Byzantium, les Zigourats à Ur). Bien évidemment, il faudra intégrer cet aspect dans la planification de notre politique économique et certains vont avoir intérêt à ce que le jeu dure quand d'autres vont s'évertuer à l'accélérer. Et je ne parle pas de la géniale originalité du jeu que sont les fameuses fusions et qui influent directement ou indirectement sur tous les aspects du jeu.
Je suis bluffé par l’incroyable renouvellement des parties, toujours très différentes dans leur déroulement, leur rythme et les axes décisifs à savoir anticiper et développer efficacement. Ainsi, la teinte et les problématiques soulevées par Indonesia n’auront rien à voir selon:
-la rapidité et l’ampleur du développement des villes.
-le moment où s’opère une fusion Siap Faji (tôt dans la deuxième ère, tard, jamais) qui vient toujours bouleverser peu ou prou la physionomie du jeu puisque des produits disparaissent (riz et épices) redistribuant les cartes quant à la concurrence, libérant des espaces propices à l'extension et pouvant influer sur le développement des villes.
-si il y a des monopoles de joueurs se répartissant des produits distincts (ordre du tour moins important) ou au contraire, de la diversification concurrentielle (ordre du tour fondamental).
-les choix en Recherche&Développement : Mergers et Slots plus ou moins hauts (rythme de partie à géométrie variable), Hull Player restreint ou important (plus ou moins de liquidités en jeu), Expansion haute (blocage géographique agressif d’espaces) ou basse (extension plus aisée).
Chacun de ces aspects en soi et dans la manière dont il va s’imbriquer avec les autres vont créer des contextes kaléidoscopiques qu’il va falloir savoir anticiper, provoquer à notre avantage, tenter de modifier. FA-BU-LEUX !!!
Lutte constante (spatiale et économique), placement, connexion, blocage, gestion, commerce, développement, restitution stupéfiante du thème: un formidable jeu-somme comme je les aime. Et encore une fois, cette relation inouie et si étroite au thème fait (avec bien d’autres raisons superficiellement évoquées plus haut) que chaque partie me laisse pantoi d'admiration. Plus je joue à Indonesia, plus j'ai envie d'y jouer (quand la grande majorité des jeux suivent la courbe inverse...).
Pour la petite histoire, ma rencontre avec ce jeu est d’autant plus étonnante que je n’avais aucunement l’intention de l’acquérir (je ne comprends d’ailleurs pas pourquoi Indonesia est si incroyablement sous-estimé, peu connu et reconnu par rapport aux monstres Roads&Boats et Antiquity) et qu’il m’a été offert à ma plus grande surprise à mon anniversaire (merci encore une fois à mes bienfaiteurs). Si chaque année j’ai un cadeau de cette envergure, je ne demande qu’à vieillir! ;)