Jusqu'à 5 joueurs construisent différents types de bâtiments sur des plateaux individuels, un peu comme dans le plus récent Petites Bourgades, mais avec d'avantage de phases et plus aucune exigence de créer certains polyominos.
Ici, l’exigence est ailleurs: chaque colon (carte de notre main) a des idées bien arrêtées sur l'endroit où il rêve de s'installer, préférences symbolisées par une iconographie très claire en haut de chaque carte. On termine donc à jouer à l'agent immobilier avec ses propres cartes (près d'une rivière? non vraiment c'est pas possible monsieur le colon... près d'un chemin alors? Ok ok ça se trouve! ) c'est vraiment très amusant et il s'agit à mon avis d'une innovation marquante de ce jeu. De plus, la construction se fait en deux temps: d'abord directement à partir de votre main puis à partir du bateau commun que chacun avait rempli (également avec une carte chacun).
Pendant la première phase de construction individuelle, les exigences de placement des colons conditionnent juste le ou les emplacements possibles sur votre propre plateau, mais à la phase collective du bateau (qui termine le tour de table), ces mêmes exigences des colons vont carrément déterminer quel joueur récupère la construction! On envoie donc les colons dans le bateau dans l'espoir de les récupérer à la fin du tour, c'est bien trouvé et assez original contrairement à ce qu'affirment des avis ici-même, taxant ce jeu de banal. L'estimation du meilleur emplacement (qui va gagner le colon) doit être effectué avec la plus grande attention pour éviter les erreurs, c'est une phase très intense et sociale qui termine agréablement chaque tour de table et induit une narrativité intéressante.
Par la suite, quand on a construit plusieurs maisons adjacentes de la même couleur, on peut les regrouper en un seul bâtiment d'une seule case, que l'on prend dans la réserve (3 maisons = 1cité, 2 maisons = 1palais). Il faut donc penser aussi à faire des groupes de même couleur, ça fait déjà pas mal de facteurs avec lesquels jongler même si les règles restent ultra simples.
Colovini aurait pu s'arrêter là, mais il a ajouté 6 pouvoirs spécifiques liés aux majorités dans chaque couleur, ainsi que des cartes agressives (pirates) qui entraînent au contraire des destructions pour les majoritaires dans la même couleur que ces pirates. A la première partie, il est vraiment difficile de tenir en compte ces deux règles complexes, qui auraient peut-être pu être présentées comme "règles avancées" que l'ont aurait incluses après quelques parties d'inititation.
Je pense que l'auteur a ajoutées ces pouvoirs pour mettre du contrôle en bout de chaîne, sorte de bot d'équilibrage diminuant la chance liée au tirage de cartes. Un ordre de tours variable à la El Grande / Carolus Magnus aurait résolu ce manque de contrôle en début de chaîne, mais c'était impossible à mettre en œuvre avec ces cartes ultra détaillées (on aurait passé dix minutes à étudier les lots de 3 colons qui arrivaient avant de décider quel jeton de tour jouer, phase qui ne pose aucun problème avec la règle alternative de Carolus Magnus où l'on voit d'un coup d'oeil quel lot comporte les paladins les plus intéressants).
Islas Canarias est donc un beau Colovini, tout de même un peu boiteux et tordu... peut-être pas assez testé, simplifié? Il se situe quand même nettement dans le haut du panier de son auteur, notamment grâce à son thème cohérent lié à un matériel très soigné et des mécaniques de base impeccables, originales et stimulantes. Comme beaucoup de Colovinis méconnus, il a surtout servi aux créateurs de jeux plus modernes pour créer ensuite des versions plus accessibles qui en reprennaient les rouages - coucou, Petites Bourgades!