Uwe Rosenberg est incontestablement l'un des meilleurs créateurs de jeux à deux : Patchwork, Babel, Terres d'Arle, Loyang, Agricola, Caverna... sont tous excellents en tête à tête même si les derniers cités sont aussi très bons, mais longs, à plus.
La Route du verre ne fait pas exception. Reprenant des mécanismes classiques de l'auteur que l'on retrouve dans ses précédentes créations (roue de création de ressources, construction de son plateau individuel, achats de bâtiments de différentes catégories...) il réussit à lui donner une identité originale. Le jeu est rapide (20 min par joueur), facile à comprendre mais difficile à maitriser.
Les deux points les plus subtils sont l'utilisation de la roue des ressources (quelques parties sont nécessaires pour optimiser son fonctionnement) et la gestion de ses cartes 'actions'.
En effet et ce n'est pas habituel chez Rosenberg (même si dans Loyang la phase de cartes est souvent tendue) l'interaction directe est très forte. Avec un bon timing de pose de cartes on peut augmenter son nombre d'actions ou diminuer celui de l'adversaire. La lecture du jeu de l'adversaire est donc aussi importante que sa propre planification. C'est en ça que le jeu est très réussi et retors.
Mais c'est aussi pour cela qu'à trois ou quatre joueurs le chaos peut vite s'installer et l'aléatoire est maitre. En effet, prévoir son tour de jeu demande déjà une bonne dose de réflexion, essayer d'anticiper le jeu d'un adversaire rajoute de la complexité mais lire le jeu de deux ou trois joueurs est impossible. D'autant, et cela arrive fréquemment, qu'un des joueurs peut se tromper et par son mouvement surprenant imprévisible anéantir vos calculs. Et pendant un tour vous vous retrouvez à ne pouvoir presque rien faire. Comme le jeu ne fait que quatre tours, le mal est fait.
Cette permanente et violente interaction transforme le jeu, plutôt cérébral à deux, en jeu opportuniste peu controlable. Un peu comme Five Tribes qui est très différent suivant les configurations. Ce n'est pas gênant si vous êtes prévenus et vous pouvez même considérer cela comme un agrément mais cela peut aussi engendrer de la frustration.
Les allergiques au hasard se plaidront également de l'apparition aléatoire de tuiles batiments à la fin de chaque tour qui peut avantager un joueur qui trouvera matière à combinaison de points là où son adversaire n'aura rien à se mettre sous la dent. C'est vrai mais c'est ce qui garantit une grande rejouabilité du jeu.
La variante solo est très bonne, si vous aimez ce type de challenge (faire le meilleur score possible).
Même si les habitués reconnaîtront tout de suite la patte de l'auteur, la Route du verre est un jeu atypique d'Uwe Rosenberg. Plus court et plus interactif que la plupart de ses dernières créations il peut conquérir un nouveau public tout en déstabilisant ses aficionados. Je l'apprécie beaucoup en configuration solo et deux joueurs. A trois ou quatre il a le handicap de ne pas être accessible, à cause de la roue, pour les nouveaux joueurs et trop chaotique pour les habitués (cela devient presque un jeu d'ambiance pour inconditionnels des kubenbois :))