**Ça raconte quoi ?**
Tu es en deuil. Un peu parce que ton oncle est mort. Beaucoup parce que tu n’es plus tout à fait sûr de toucher ta part d’héritage. Car au lieu de faire des parts égales pour chacun de ses héritiers, ton oncle a préféré réserver son immense fortune au plus épicurien d’entre vous. Il vous impose donc de manière posthume le défi de dilapider en un minimum de temps une somme d’argent déterminée, qui n’est qu’un avant-goût de ce qui sera remis au plus dépensier des héritiers. C’est tordu, mais ça doit être de famille… Tu as soif d’événements mondains, de propriétés impossibles à entretenir, de compagnons extravagants.
**Ça marche comment ?**
Comme un jeu de placement d’ouvriers. Pardon, de coursiers. Ces fidèles coursiers qui iront acquérir les Opportunités (les cartes) les plus onéreuses pour ton compte. Et comme un jeu de pose de cartes, aussi. Car ces Opportunités devront être accomplies, acquises, entretenues, revendues, si possible de la manière la plus catastrophique pour tes finances personnelles. Le but est effectivement de dilapider tout l’argent attribué au départ, entre 70 et 130£ selon les parties. Pour cela, il faut avoir revendu toutes ses propriétés, et dépenser au moins tout son argent (finir endetté est fortement conseillé). Dès qu’un joueur atteint cette condition, on termine le tour de jeu et on compte qui a le plus de dettes. Sinon on attend le 7ème tour et on voit qui a le moins d’argent.
Le jeu suit la mécanique standard du placement d’ouvriers :
***On planifie sa journée*** en choisissant l’un des 6 sabliers disponibles. Cela détermine l’ordre du tour, le nombre de cartes immédiatement piochées (0-6), le nombre de coursiers (1-2) et le nombre de points d’action (1-4) pour ce tour.
***On envoie ses coursiers*** à la pêche aux bons plans. 5 types de bons plans. On remporte l’une des cartes Opportunités encore disponibles ce tour.
On agrandit son domaine pour pouvoir y poser encore plus de cartes Opportunités.
On influe sur les cours de l’immobilier.
On pioche une carte au hasard.
Le bon plan loose : la soirée à l’opéra, qui permet de dépenser 2£.
***On réalise les actions*** ainsi préparées, en tenant compte de ses points d’action disponibles pour le tour.
***On entretient*** tout ce bazar : On remet sa main à 2 cartes.
Les propriétés non entretenues perdent de la valeur.
Les Opportunités non saisies disparaissent.
Les cartes activées sont de nouveau activables.
Une bonne partie du jeu repose donc aussi sur l’utilisation des cartes.
Les cartes ***événements*** sont des cartes à usage unique : en dépensant un certain nombre de points d’action, on peut dépenser une certaine somme.
Les cartes ***propriétés et extras*** sont des cartes à effet permanent : en dépensant un certain nombre de points d’action, et éventuellement une somme d’argent, on les pose dans notre domaine personnel. Elles pourront ensuite être activées, généralement pour dépenser encore plus d’argent.
Les cartes ***compagnons*** permettent d’optimiser les effets des autres cases : un chien, un cheval, un chef ou une charmante invitée augmenteront à coup sûr le coût des événements ou l’entretien des propriétés !
Ces dernières ont un fonctionnement particulier. Elles ne peuvent pas être défaussées comme les extras, mais peuvent être vendues pour une action, ce qui fait alors rentrer de l’argent dans les caisses. On tient alors compte de la décote due à l’absence éventuelle d’entretien, et au marché de l’immobilier qui peut faire varier la valeur de -3/+3. Cet aspect du jeu est essentiel car tant qu’on n’a pas vendu toutes ses propriétés, on ne peut mettre fin à la partie ni tomber en négatif.
**Ça vaut quoi ?**
Le point fort du jeu est sans conteste son thème et l’adoption réussie d’une logique à la « qui perd gagne ». L’association des cartes de base avec les « compagnons » renforce à souhait la thématique du jeu tout en introduisant en douceur de la combinaison de cartes : on se retrouve ainsi à faire des sorties au théâtre à cheval, à des promenades en mer avec maîtresse, cuistot et clébard. Le matériel n’est pas en reste avec un très beau plateau central qui s’adapte au nombre de joueurs tout en nous plongeant dans l’atmosphère brumeuse de l’Angleterre victorienne. On peut seulement regretter que les compagnons d’un même type soient tous identiques (d’où un deck entier avec seulement 4 dessins…), et que les plateaux des joueurs ne soient différenciés autrement que par leur couleur.
Du point de vue des mécaniques, l’ensemble fonctionne bien dans l’absolu : on sent que l’équilibrage a été rude, et que la répartition entre les types et les effets des cartes Opportunités a été savamment étudiée. Là aussi on peut se contenter d’un bémol concernant la thématique : si le jeu avait été un peu plus riche, on aurait imaginé un système où l’endettement serait intervenu plus tôt en cours de partie, et aurait été proportionnel aux propriétés achetées. Car il se trouve que dans *Last Will* on ne prête qu’aux pauvres…
Le seul vrai bug concerne l’ordre du tour pour la planification (c’est-à-dire pour choisir l’ordre du reste du tour, soit pour les coursiers et les actions). Le 1er joueur de la phase planification ne fait que tourner en sens horaire à chaque tour d’où une certaine inégalité due au placement. Un peu dommage, surtout si l’on y ajoute qu’il y a malgré tout une carte Opportunité prise automatiquement par le 1er joueur lors des 3 premiers tours, la carte extra qui rapporte une action supplémentaire, et qui est nettement rentabilisée au cours de la partie.
Ces quelques imperfections sont probablement le prix à payer pour pouvoir afficher un « 60 minutes » peut-être un peu trop flatteur sur la boîte : on voit mal un tour de jeu entier à 5 joueurs tenir en moins de 10 minutes... Reste que grâce à la diversité des cartes, le ratio densité de jeu + rejouabilité / complexité des règles est évidemment très élevé. Chose logique, somme toute, car quoi qu’en dise mon banquier, l’argent est fait pour être dépensé, et vite !