Il serait réducteur de considérer que l'achat de la jolie boîte estampillée du gobelin blanc fût essentiellement motivé par la volonté de dissiper un paradoxe.
J'étais en effet assez curieux de comprendre comment un jeu dont la mécanique éprouvée et encensée dans un autre contexte pouvait à ce point être décrié alors que son fonctionnement repose sur une mécanique comparable, au service d'un thème et d'un objectif auxquels je suis à priori bien plus sensible.
Par ailleurs, la perspective d'en découdre au milieu d'une meute de 3 à 8 furieux dans une frénétique foire d'empoigne orchestrée par Monsieur Faidutti n'est probablement pas étranger au fait que je me sois finalement résolu à rendre visite à mes sympathiques conseillers ludiques habituels afin de procéder au règlement de l'article convoité à l'aide de ma Mastercard, en composant le 7249 d'usage...
"ben, celui là, on le voit pas passer tous les jours" n'a d'ailleurs pas manqué de commenter le sympathique commerçant en désignant la boîte sur laquelle se devinait le trait caractéristique de Pierô au travers le sachet plastique qu'il me tendait non sans un chaleureux sourire.
Certes, il n'est pas impossible que ma perception de la qualité du jeu ait été orientée à l'opposé de certains préjugés négatifs.
Lorsque l'on se prépare à faire l'acquisition d'un jeu dont la moyenne ne dépasse pas 2,15 sur l'échelle Finkel de TricTrac à l'heure où je rédige ces lignes, sans doute se met-on plus ou moins consciemment dans des prédispositions plus favorables, voire indulgentes, avant d'entamer la première partie.
Lost Temple n'a de toute évidence pas besoin de ce genre d'artifice.
A peine 268 secondes d'explication, et tout le monde est prêt à se lancer dans une folle course poursuite à la Tex Avery, où je te pique tes émeraudes pour filer en canoë tout en franchissant la brousse en y laissant une machette pour récupérer un jeton déposé malicieusement par la voyante, qui me fait reculer de suffisamment de cases pour me retrouver de nouveau face à la brousse, merci, bien joué, tandis que me rejoint l'enfant, laissant sur place le prêtre qui s'est lui-même bêtement fait ensorcelé par le shaman, sur lequel s'abat finalement une armoire normande... ah non, pardon, il n'y a pas d'armoire normande, en tout cas pas dans le jeu de base.
Du fait des pouvoirs disponibles, les renversements de situation sont nombreux et la course est indécise jusqu'au bout. Personne n'est définitivement lâché, et le leader sait que son avance ne tient qu'à un fil; chaque tour passé en tête sans avoir été victime du shaman ou du voleur est déjà en soi une petite victoire.
Du fait de son caractère un tant soit peu (joyeusement) bordélique, il est vrai qu'il n'est pas absolument nécessaire de se battre pour être présent aux avant-postes pendant la première moitié de la course. On en profite alors pour faire les poches de son voisin histoire de pécho quelques émeraudes, s'équiper en machettes tant qu'elles sont disponibles chez l'artisan du coin, solliciter la voyante histoire de tirer profit des jetons que l'on aura pris soin de placer à des endroits judicieux et décisifs...
Mais quand vient l'heure du money-time, l'ambiance s'électrise et se ponctue des grincements de serrage de fesses des joueurs situés à une poignée de cases du fameux temple. Ceux-ci deviennent alors la cible de tous les coups tordus et doivent habilement se faufiler entre les gouttes pour parvenir à l'emporter.
Lost Temple entre dans la catégorie des jeux dont on est évidemment ravi d'avoir pu gagner la partie en ayant bien niqué tout le monde et en faisant preuve de plus ou moins de filouterie, sans pour autant que la défaite ne génère de constat d'échec particulièrement amer... elle n'est ici qu'un prétexte à lancer quelques insultes exotiques à l'adresse de l'heureux aventurier qui a le mieux manoeuvré pour trouver le temple en premier tandis qu'il exécute une petite danse de cheyenne au milieu du salon, tout en l'invitant à se rasseoir à la table immédiatement, imbécile, on en refait une tout de suite, tu crois tout de même pas que tu vas t'en tirer comme ça.
La comparaison avec son aîné est probablement inévitable pour celles et ceux qui ont déjà eu l'occasion d'assassiner un architecte.
Reste à savoir si vous préférez courir plutôt que bâtir.
En ce qui me concerne, je suis un bien piètre bricoleur, aussi ai-je préféré mettre le cap vers le Cambodge en comptant méticuleusement mes émeraudes avant de filer au travers la jungle, ma machette entre les dents, en prenant garde d'éviter ce fumier de shaman et ce salopard de voleur.
Il est temps à présent de procéder au résumé des points-clés de cet avis :
- un paradoxe,
- une MasterCard,
- un sachet plastique,
- un Tex Avery,
- une armoire normande,
- des serrages de fesses,
- un cheyenne