Poursuivons notre exploration des jeux orientés affrontements directs pour trois joueurs avec Maria, un jeu de Richard Sivèl, édité par Histogame en 2009. L'auteur était déjà connu pour un "Friedrich" sorti en 2004 dont Maria est inspiré, mais avec des améliorations bienvenues selon certains avis. Richard Sivèl sera aussi le co-auteur en 2014 du surprenant "Wir sind das Volk", un card driven efficace au thème original.
Alors certains connaissent peut-être le principe de cette série que j'ai commencé tant bien que mal pour parler des jeux typés "pif-paf-pouf-sur-ton-groin" spécialement conçus pour une configuration que j'aime bien (mon coté Leone sans doute) et qui pose surtout le problème du 2 vs 1. Comment l'auteur est-il parvenu à limiter ce risque, voire même le rendre inopérant ? A noter que Maria est indiqué jouable à 2... et bien oubliez, c'est vraiment anecdotique ("le jeu n'a pas tout à fait la même ambiance machiavélique"... c'est même écrit dans les règles) Le "vrai" jeu est donc réellement à 3.
Avant de commencer, mes salutations à Moz, Pyjam, Logan, Atomm, Pééétrick, T-Bow, etc...enfin à ceux qui furent parmi les premiers soupirants de Maria sur le site (1), en compagnie de votre serviteur. Mes remerciements à Monsieur Zhor, un gameurs de part chez moi, déjà amateur de Friedrich et qui par une bel après-midi de février 2010, me proposa de découvrir un des meilleurs "warteaux" (2) que je connaisse.
J'ai déjà écrit pas mal de choses sur Maria mais en parler en 2021 est à présent un peu une gageure : Le jeu n'est plus édité depuis longtemps et je ne suis pas certain qu'il soit trouvable sur le marché de l'occasion. Je me souviens de l'accueil dubitatif ici même de Maria quand le jeu a remporté le "Jogo de ano 2010" devant Vasco da Gama de Paolo Mori et trois jeux de Martin Wallace : "Last train to Wensleydale", "Automobiles" et "Rise of empires ". A part Last train que je trouve nettement en dessous des autres, je n'aurais pas porté plainte si Automobile par exemple avait reçu le prix, mais le choix de Maria était quand même sacrément plus gonflé... et drôlement bien vu. Il faut dire qu'au même moment, c'est 7Wonders qui remportaient le TT d'or, devant Endeavor (et Dungeon lords quand même) d'où quelques réactions un peu interloquées à ce moment là (je résume) :
"ké ? Un jeu pour 3 joueurs ? Ça parle de la guerre de quoi déjà ? Des cartes pique-coeur-carreau-trèfle pour les combats ? Comment tu dis, un système "Point-to-Point"(3) ? Un grand plateau pour une vingtaine de pions ronds en bois, des petits marqueurs et quelques cubes ? Une quinzaine de pages de règles ? Et c'est juste dispo en anglais/allemand ? Non mais c'est une blague...!?"
Et bien non, ils plaisantaient pas les geeks lusitaniens. Un choix gonflé disais-je car très éloigné des prix type "Jeu de l'année" distribués un peu partout en 2010, vous pouvez vérifier.
Je ne sais pas si certains d'entre vous ont en mémoire les tenants et aboutissants de la guerre de succession d’ Autriche (1740-1748) ; Il faut dire qu'elle était le produit d'une situation politique vraiment complexe, assez typique des guerres dites "en dentelles" du XVIIIième siècle. Néanmoins, cette complexité est fort bien simulée par le jeu ; Retenez juste que Maria, c'est Marie Thérèse d'Autriche qui règnera sur l'Autriche-Hongrie jusqu'à sa mort en 1780 et qu'elle était la mère de Marie Antoinette, reine de France. Les relations compliquées et changeantes entre les partis au conflit sont bien retranscrites et les joueurs vont souffrir d'un peu de schizophrénie (le terme apparaît même dans les règles), jugez plutôt : A l'ouest du plateau, la France a que des ennemis avec l’Armée Pragmatique, menée par le joueur prussien et l’armée autrichienne du général Arenberg, basées initialement en grande partie dans la région des actuels Pays-bas et de la Belgique. Elles vont mener la vie dure aux armées de Louis XV. A l’Est de la carte, c’est l’Autriche qui n’a que des ennemis : L’armée bavaroise, appuyée par des troupes françaises (enfin ce sont surtout les troupes françaises qui se font appuyer par l’armée bavaroise), ainsi que la Prusse et la Saxe, très attirées par la Silésie, en grande partie autrichienne au début du jeu. Le prussien à un ennemi de chaque coté, et frise d’ailleurs la schizophrénie (dixit les règles du jeu elles-mêmes) : en effet, il est ennemi de la France à l’ouest avec ses Armées Pragmatique, et en paix avec l’Autriche ; A l’est, il est ennemi de l’Autriche, mais en paix avec la France et la Bavière…heu... vous me suivez toujours ?
Oui, c’est pas simple, mais cela donne une situation passionnante à gérer pour les joueurs, des défis ludiques comme on en voit peu. De plus, selon l'arrivée (ou non) d'évènements en cours de la partie, certaines alliances peuvent évoluer. Comment gagnerez-vous une partie de Maria ? Soit en posant tous vos jetons de victoire sur le plateau (la partie se termine immédiatement), soit au bout des 4 tours (de l'année 1741 à 1744), vous êtes le joueur à qui il reste le moins de jeton de victoire dans votre réserve, quelques règles permettent de trancher les égalités.
Je vais pas m'attarder sur l'aspect tactique des batailles (4), qui sont des sortes de "stop ou encore" subtiles avec une dimension psychologique, un peu comme au poker ; En effet, je trouve que Moz a le mieux résumé toute la subtilité des combats dans Maria, la gestion des cartes, comment amener l'adversaire sur un terrain qui lui sera défavorable, le savoir-perdre parfois pour mieux contre-attaquer, le savoir-insister pour faire plier l'adversaire, la notion de batailles mineures et majeures, etc... sur ce point précis, je vous renvoie sur le lien ci-dessous, plus particulièrement au bas de la page 5 du topic.
Avec une thématique très présente, Maria est un grand jeu de stratégie qui demande finesse, anticipation, ruse, capacité d'adaptation, de la patience, des nerfs solides et parfois un peu de réussite aussi comme il sied à tout chef d'Etat et/ou Militaire. Je conserve, plus de 10 ans après, une certaine fascination pour ce jeu qu'il m'arrive hélas trop rarement de pouvoir sortir aujourd'hui. Et c'est pourquoi je lui donne la note de 10 parce qu'il reste pour moi un modèle du genre ; Quand à la question du 2 vs 1 ? Et bien en fait, Maria est tellement bien conçu que la question ne se pose même plus...
(1) ?page=1
(2) Etant de la vieille Ecole, pour moi, un wargame c'est avant tout un plateau recouvert d'une grille d'hexagones. C'est pourquoi j'utilise concernant Maria le terme de warteau. C'est sans doute discutable, je serais même prêt à faire quelques concessions sur certains titres, mais concernant le concept lui-même, je ne changerai pas d'avis, point final.
(3) Sur le grand plateau, figurent en effet des villes reliées par des routes qui permettent de déplacer les armées. On peut varier les itinéraires d'un point A à un point B, mais on ne peux sortir des routes pour "couper au travers".
(4) La lutte Pique-Coeur-Carreau-Trefle selon la zone de la bataille...ce serait trop long à vous expliquer, mais retenez simplement que le système est génial d'efficacité et de simplicité sans trop sacrifier au réalisme.