J'aime bien les listes à la Prévert.
Depuis Reef Encounter en 2005, c'est toujours avec beaucoup d'intérêt que je surveille les sorties de l'éditeur What's Your Game (WYG) et des jeux comme Vasco de Gama ou Vinhos avaient bien comblé mes attentes. Mais en 2014, je devais être sur une autre planète car j'étais complètement passé à coté de Zanhghuo ou encore de Madeira ; Aussi, il n'était pas question de rater les deux sorties WYG suivantes, à savoir Signorie et Nippon.
En découvrant le matériel de Nippon, j'ai eu le sentiment agréable d'être en terrain familier. Il faut dire que WYG a su habituer les joueurs qui les suivent avec un type d'illustrations, de matériels et une iconographie assez semblables d'un jeu à l'autre (merci Mariano Iannelli). J'aime bien ce concept, il me sécurise, surtout lorsque j'ouvre pour la première fois une boite et que j'aperçois des planches de tuiles variées, couvertes de petits symboles et un livret de règles relativement copieux.
Cela dit, ma première partie de Nippon fut vraiment difficile, perdu que j'étais au milieu de tous ces meeples de couleurs. De plus, je devais pas être en forme ce jour là : n'ayant pas assimilé la moitié des règles durant les explications, je me souviens ne pas avoir fait de commentaire après le décompte final, signe chez moi d'un certain désappointement. Mais une semaine plus tard, la seconde partie fut une révélation : les problématiques, les enjeux, l'interaction directe comme indirecte, tout cela est devenu limpide, stimulant et j'ai commencé à m'intéresser de près à ce jeu au point d'en faire l'acquisition peu de temps après.
Nippon n'est pas un jeu de pose, mais de retrait d'ouvrier. Il contient aussi un mécanisme qui demande de bien apprécier la situation avant d'y recourir, à savoir "la consolidation", un moment charnière qu'il faut savoir jouer au bon moment et à plusieurs reprises dans une partie, un peu comme le célèbre "déclin" à Vinci/Smallworld. La lutte entre les joueurs est frontale sur le plateau avec des "attaques" de majorité qui font sauter des jetons d'influence adverses ou bien la prise du dernier meeple d'une couleur précise dans une case action qui va très nettement gêner au moins un joueur. L'interaction s'étend aussi sur les choix des développements d'industries et des régions choisies. En fait, Nippon, essentiellement un jeu de développement économique, propose une vraie bagarre à tous les niveaux. Ne vous imaginez pas que vous allez jouer dans votre coin. Ah que non ! Ici, c'est du brutal et dans le même esprit et intensité, j'ai tendance à placer Nippon en bonne compagnie, avec un Brass ou un Barrage par exemple, c'est vous dire l'estime que j'ai pour cette création de Paulo Soledade et Nuno B. Sentieiro, le même duo d'auteurs à l'origine du solide Madeira et plus tard du moins connu mais respecté Panamax.
Il y a des choix stratégiques dans Nippon, des vrais : régions où se placer, produits à développer, se lancer plus ou moins dans les transports (et le choix entre trains et/ou bateaux), types d'usines choisies sur un même produit (elles ne proposent pas toutes les mêmes bonus), surveiller les choix des autres, bien utiliser et répartir ses pions d'influence (leur nombre et valeur sont limités), choix des contrats, produire au bon moment et puis il y a les coups tactiques sur les choix de couleurs d'ouvriers, les prises de majorité, le déclanchement d'un décompte... tout cela entretient une belle tension.
Alors un défaut ? Il en aurait bien un selon certains "nipponistes" et il serait même structurel : Une des pistes à développer, celle dite de la Connaissance, a laissé un peu perplexes certains joueurs qui ont expliqué que son intérêt était limitée et son développement laborieux, que l'usage des tuiles "Plan" permettait plus facilement d'atteindre le niveau de connaissance requis pour construire, etc... enfin bref, je vais pas rentrer dans le détail si en plus vous connaissez pas le jeu, mais sachez qu'il y au moins une bonne variante qui résout le problème – qui n'en était pas vraiment un selon moi – mais qui permet ainsi de satisfaire les techniciens les plus pointilleux.
Bien qu'ayant été souvent nominé à des prix divers (c'est fièrement affiché sur la boite), Nippon a rarement été récompensé et pour tout dire, je trouve presque risible son classement à la 10ième place, seulement, du DSP 2016 (vainqueur Mombasa) tant certains jeux mieux classés ne lui arrivaient franchement pas à la cheville dans la catégorie expert. Nippon a donc été un peu sous-estimé (mais pas par la plupart des joueurs sur TT en tout cas)... quoi qu'il en soit, je trouve que c'est un jeu à redécouvrir pour les amateurs de jeu de gestion qui aiment les interactions parfois musclés tout en proposant des options variées de développement. A noter qu'on peut le pratiquer en ligne sur un site bien connu dont je vous laisse deviner le nom avec un juste petit indice : Board-xxxx arena (Dur hein ?).