Je cite en guise de titre une phrase de monsieur Frédéric Bey écrite en 1993 dans un article de Casus belli (voir références à la fin de l'avis). Pour mémoire, Périclès, le principal stratège athénien, est mort d'une épidémie de peste deux ans seulement après le début du conflit.
C'est en 2006 que "Perikles" fut édité chez Warfrog en portant le n° 1017. Martin Wallace nous proposait à nouveau un thème historico-militaire (le précédent étant Byzantium avec le n° 1016) et cette fois, le Maestro de Manchester s'était penché sur la célèbre guerre du Péloponnèse qui opposa Sparte à Athènes : un long conflit de 27 ans (-431 à -404) qui obligea toutes les cités grecques à choisir un camp. Comme je suis très méchant, je vais immédiatement "divulgâcher" pour les non-connaisseurs : C'est Sparte qui a gagné.
Concernant le jeu, le moins qu'on puisse dire, c'est qu'il a suscité quelques vifs échanges entre amateurs de créations wallaciennes. Pour les uns, le hasard y prend une place trop importante et la phase des combats est un peu longuette. Pour les autres, le hasard, certes présent, n’est pas déterminant, les combats sont plutôt sympa et même à suspense mais c'est surtout la phase politique qui est un brin ennuyeuse ; Des avis qui divergeaient donc sur les motifs d'insatisfaction (opposition de deux "Ecoles", j'y reviendrai plus loin) mais qui se retrouvaient souvent pour dire que Perikles n'était pas à mettre au compte des meilleures productions du Maestro.
Alors qu’en est-il exactement ?
Tout d’abord, faisons une petite présentation du jeu, sans trop entrer dans les détails : Une partie se découpe en trois grands tours et à l'issue, le vainqueur sera le joueur qui aura accumulé le plus de point-victoire. Cependant, il y a une fin alternative, à savoir que la partie s'arrête dés que l'une des deux cités "leaders", Sparte ou Athènes, subit 4 défaites majeures. On reste alors sur le système de points, mais ceux de la grande Cité perdante ne sont pas comptabilisés.
Chaque tour est divisé en deux phases distinctes :
1 – Sur le plateau, sont représentées au total 6 cités : Athènes, Spartes, Megara, Thèbes, Corinthe et Argos. Une première phase consiste à essayer de prendre le contrôle politique des cités par un système de pose de partisans (symbolisés par de simples cubes) avec un principe majoritaire et quelques subtilités ; Il y a bon nombre de petits coups tordus possibles (assassinats, déclaration de candidatures) à l'aide de tuiles actions sélectionnées par les joueurs. Le timing et les choix de pose jouent un rôle important. Le tout se termine par des "élections" (on regarde dans chaque cité qui occupe les deux emplacements des candidats et qui est majoritaire...plus quelques petites règles sur lesquelles je passe). Les buts de cette phase ? Diriger une cité vous permettra de marquer des points en fin de partie et également de contrôler ses forces militaires afin de les envoyer combattre sur les théâtres d'opération de votre choix . Un même joueur peut se retrouver à la tête de plusieurs cités...il peut arriver aussi qu’il se soit fait bananer de partout et là, zou ! Il se retrouve directement patron des Perses pour le tour.
2 - La deuxième phase est militaire : c'est la guerre sur terre et/ou sur mer. A chaque tour, se dispute une série de 7 batailles auxquelles les joueurs sont amenés, en fonction de leurs intérêts, à participer. Le rituel et immuable : on place (selon un ordre particulier) des tuiles armées face cachées sur différents champs de bataille. Une fois que c’est fait, on résout les différents combats en jetant des dés (avec un report sur une table de combat)... c’est plus malin que cela en réalité, il faut gagner un certain nombre de "round", et donc on ne se contente pas que d’un simple jet de dés. Gagner des batailles fait aussi marquer des points directement et empêche parfois la cité gagnante d’en perdre (ce qui sera bon plus tard quand on fera le décompte des statues de dirigeants...enfin, je vous en dis pas plus). Par contre, la cité perdante peut dans certains cas décliner en prestige et fera ainsi diminuer le nombre de point que l’on pouvait espérer gagner avec elle en fin de partie.
L'originalité est bien là : 2 phases radicalement opposées dans l’esprit, la première est très "Ecole Allemande ", la seconde est plus "Ecole anglo-saxonne ", si vous me permettez cette opposition un brin schématique. Je crois alors que les fans de manoeuvres savantes et de combats aux dés s'assoupissaient un peu dans la première phase et ceux qui se sentent plus proches des "eurogames" n’aiment guère la procédure des batailles, un poil longue parfois c'est vrai, ainsi que ses aléas. Bref, chacun aimait bien un "bout" du jeu, mais pas le jeu en entier. C’est bien dommage, car la phase politique est très subtile, elle demande pas mal de ruses, elle un peu chaotique toutefois à 5, mais en tout cas on s’y amuse bien. Je n’ai pas grand chose non plus à reprocher à la phase des combats : Il serait d'ailleurs intéressant de voir sur 21 batailles (si le jeu ne s‘arrête pas avant) combien de fois les résultats des dés ont inversé les rapports de force et donner la victoire au camp le plus faible. Au cours de mes différentes parties, il m’est arrivé de pester contre le sort, mais je dois admettre que c’était souvent sur des combats 1 contre 1...et là, forcément, tout peut arriver ; C’est au joueur de faire ce qu’il faut pour arriver au combat avec plus de points de force que l’adversaire. Finalement, Wallace a choisi un système simple mais assez malin pour ne pas transformer les batailles en partie de Risk. Le hasard n’y est pas plus important qu’à Princes of the Renaissance selon moi.
C’est pourquoi j'ai toujours défendu Perikles, malgré ses quelques défauts. Certes, je ne retrouve pas complètement avec ce jeu la même intensité que dans une partie de Byzantium ou Struggle of Empire, mais il est suffisamment prenant avec des parties dynamiques et des règles relativement simples pour le faire figurer sans rougir dans votre ludothèque. Je conseille toutefois d’y jouer plutôt à 4 et de disposer d'au moins 2h30 devant vous.
Avec Perikles, Martin Wallace était encore dans sa période glorieuse de jeux originaux avec combats aux dés comme Princes of the Renaissance, Byzantium ou Struggle of Empire et je dois avouer que cela me manque aujourd'hui.
PS 1 : La guerre du Péloponnèse a inspiré les auteurs ludiques : Je ne peux que recommander le très bon "Polis, fight for the Hegemony", pour 2 joueurs de Fran Diaz, édité en 2012 chez Asylum games et en voie de réédition, ainsi que le très réputé "Hellenes", toujours pour deux joueurs, un card-driven du trio Simonitch, Mac Gowan et Hegarty édité par GMT en 2009. Il y a également le "Perikles : The peloponnesian wars" de Mark Herman édité chez GMT en 2017, une réédition en multi d'un jeu solo sorti en 1991.
PS 2 : Pour aller plus loin sur le thème, je peux vous conseiller "La guerre du Péloponnèse" de Victor D. Hanson (Flammarion, 2008), "Les grecs et la guerre" de Michel Debidour (édition du Rocher, 2002) et bien sur, "Histoire de la guerre du Péloponnèse" de Thucydide, un témoin direct (une édition commentée, coll. Bouquins 1990). Enfin, pour le ludique, Casus Belli, Hors-série n°9 de décembre 1993, un article de 8 pages de Frédéric Bey consacré à l'histoire du conflit et au jeu de M. Herman.