A la lecture des critiques dithyrambiques, je ne me suis pas posé beaucoup de questions avant d'acheter le jeu (en VO, mais pas une trace d'anglais sur le matériel).
Pourtant, mon spidey-sense avait un peu tilté en voyant les photos du plateau : profusion de couleurs, de symboles, de matériel, on est loin de l'épure que je peux affectionner, mais je retourne aux critiques, sur vindjeu, ils le comparent à Tzolkin, 8.3 sur BGG, bref, bon, j'achète.
Le matériel est sympa, en particulier les plateaux personnels, d'astucieux moyens de débloquer des bonus. L'iconographie, très chargée, est claire. Mais attention aux épileptiques, le plateau est chargé, très chargé, et grand : la partie ville habitations, il est presque difficile d'y installer les places, et de l'autre bout de la table, une grande table, donc, il faudra se lever pour distinguer, sous le fatras des couleurs et des dessins, les emplacements disponibles, et les bonus des places.
A la lecture des règles, je m'inquiète : certes, 6 actions possibles, ça va, cela reste gérable. Mais il y a une profusion d'informations indigestes, et qui accompagne la globale surcharge visuelle que restitue le matériel : il y a les petits puzzles à faire sur son plateau d'actions, avec les bonus d'adjacence et les bonus en coins ; les murs qui font progresser les points des jetons bleus mais font gagner des jetons rouges. Les scores sur 2 pistes qui se multiplient, dont une piste faisant piocher des technologies d'un niveau dépend de son score de piste ; les habitations qui font gagner des jetons bleus mais font progresser les points des jetons rouges ; il y a le jeu de majorité autour des places... pour les bâtiments avec baille, les autres donnant des points immédiats. Il y a les 2 labyrinthes que sont le mur de la faim et la cathédrale, dans lesquels on progresse horizontalement et verticalement de manière totalement différentes, pour gagner des types de points totalement disjoints. Il y a la route royale, qui fait gagner des bonus immédiats, jusqu'au choix de bonus fin de partie. Il y a l'or, le minerai, les vitraux blancs ou dorés, les oeufs.
Tout cela est imbriqué, sans thème, avec une certaine lourdeur, voire une lourdeur certaine. Globalement il y a plus d'informations et de détails dans ces règles que dans celles de Maracaibo, qui m'avaient semblé bien bien denses. Il y a comme cela à foison un empilement de mécanismes plaqués, une interdépendance toute mathématique et froide.
Mais qu'à ne cela ne tienne, testons.
J'explique les règles à mon groupe de joueurs. A mi-course, ils me demandent un café, y compris celui qui n'en boit jamais. Véridique. Je continue, ils commencent à rouler les yeux au ciel. Pourtant, on joue à Barrage, à Project Gaia, à Maracaibo, à Great Western Trail, à Game of Thrones, Age of Steam, Twilight Imperium, à... bref, à des jeux experts, nous sommes habitués à des jeux compliqués, à des règles alambiquées.
Plusieurs parties au compteur : à 3 et à 4 joueurs. Petit conseil, le jeu est meilleur à 3, à 4, c'est simplement trop long. Car chacun joue vraiment dans son coin, c'est une partie contre soi-même. Certes, on vient chercher des améliorations, des bâtiments et des murs dans des lignes d'achat communes. Certes, il y a une concurrence autour des places, et celui qui se positionnera en premier déclenchera les hostilités. Mais c'est presque tout. La roue d'actions ? Chaque action est en double, et que cela soit à 3 ou 4 joueurs, on trouvera toujours quelque chose à faire sans être véritablement pénalisé par la valorisation des actions des autres. On met en place dans son coin sa stratégie, sans véritable interaction avec les autres. Je dirais : sans une interaction vraiment consistante. Cela ne me dérange parfois pas plus que cela. Prenons Res Arcana, chacun développe son tableau, l'interaction est sur le choix des objets magiques, et les lieux de puissance. Mais il y a un aspect course, il y a les dragons et leurs attaques, et il y a le temps de partie, beaucoup plus ramassé, et la focalisation du jeu qui ne part pas dans toutes les directions.
La partie démarre rapidement, les tours s'enchaînent et c'est fluide. Puis cela ralentit, ralentit, ralentit. Ralentit. Chacun joue sa partie, on calcule, analyse, paralyse analyse et analyse paralyse. Je lis que la partie dure entre 30 et 35 minutes par joueur ; pour notre groupe, avec notre nombre de parties relativement réduite, on est réellement plus proche de l'heure par joueur, à 3 comme à 4. Manque d'expérience ? Peut-être. Mais tous les membres sont unanimes : dans le même temps, pourquoi ne pas faire un Maracaibo, plus fun, aussi salade-pointy, mais avec des mécanismes moins calculatoires. Pourquoi ne pas faire un Projet Gaia ? Un Scythe ? Un Coimbra, surchargé visuellement mais beaucoup plus ramassé. Et le sultan des jeux de ces dernières années, un Barrage ? "Trop de calcul, pas assez d'interactions" sont les principaux griefs qui reviennent. Et la roue, qui est présentée comme une innovation, n'est qu'un système de valorisation de rôles initié il y a longtemps par Puerto Rico... jeu dans lequel il y a beaucoup plus d'interactions.
J'écris cela avec peine : il y a quelque chose dans ce jeu sur lequel j'accroche, quelque chose qui m'intrigue sans savoir quoi. Peut-être trouver le bon enchaînement d'actions interdépendantes, pour ne pas me retrouver en éternel manque d'une chose pour maximiser mes points. Mais il y a beaucoup de choses qui me déplaisent, cet aspect puzzle, de multiples jeux dans le jeu, qui ont chacun des bons mécanismes, mais qui mis bout à bout nous font frôler l'indigestion, et manquent peut-être d'élégance, de pureté, de focus.
Le jeu paraît plus tactique que stratégique, il faut une bonne dose d'opportunisme, optimiser ses coups, coup par coup, fonction convexe, celui qui joue en tête l'emporte à la fin.
Et pourtant, j'ai déjà acheté des jeux, essayé, je les ai revendus sans état d'âme sur Okkazeo juste derrière, mais celui-là, il y a quelque chose, je ne sais pas quand je vais y rejouer, mais je n'ai pas envie de m'en séparer. Donc tout n'est pas mauvais, loin de là. Mais voilà, il y a déjà tellement mieux sur le marché, moins foisonnant, plus élégant, plus innovant, que je peine à trouver une raison de le garder.