Quartermaster est incontestablement pour moi la nouveauté ludique la plus enthousiasmante de ces derniers mois. J'en suis à plus de 10 parties avec des groupes et configurations variées et chaque partie a été un plaisir différent, renouvelé.
Le jeu se joue parfaitement de 2 à 6 joueurs mais à 2 ou 3 joueurs il vaut mieux connaitre bien les cartes de chaque pays car découvrir ET jouer 2 ou 3 pays est un peu fastidieux et ralentit la partie. Ceci dit dès la deuxième partie on a compris les grandes lignes du jeu et on arrive à jouer efficacement.
Plus on est nombreux, plus les parties sont rapides (moins d'une heure à 6 joueurs, jusqu'à 90 min maximum sinon chez nous).
Le travail éditorial est excellent avec du matériel sobre et de qualité (thermoformage, plateau, cartes...). Au départ on peut être inquiet à cause des couleurs pastels très proches des "pions armées" mais on constate une fois la partie lancée que ce n'est pas génant car il y a peu de pions sur la carte et surtout les zones de déploiement des belligérants sont bien distinctes et identifiées.
Les règles sont simples et claires. Sur la centaine de cartes jouées à chaque partie vous aurez toujours un ou deux points sujets à interprétation ou discussion mais c'est inévitable pour un jeu avec autant d'interactions (c'est la guerre !) et on trouve facilement une solution de bon sens.
L'accessibilité du jeu est excellente : des enfants de 10 ans joueurs apprennent vite et deviennent redoutables.
Attention ce n'est pas un wargame classique : pas de figurine , de dé, de ligne de vue... C'est un jeu de plateau/cartes sur le thème de la guerre qui peut intéresser un public beaucoup plus large (et plus féminin) que les wargames classiques.
Mais ce qui provoque vraiment mon enthousiasme est la remarquable fidélité du jeu à la réalité historique (pour un jeu de ce gabarit, accessible et jouable en une heure). Chaque pays dispose de forces et faiblesses conformes à l'Histoire. Les pays de l'Axe (Allemagne, Italie, Japon) sont redoutables en début de partie et peuvent vaincre par KO si les Alliés (US, UK, URSS) ne réussissent pas à résister et organiser la contre attaque. On sent toujours vers le milieu du jeu un moment de bascule crucial qui oriente la fin de partie.
Chaque pays dispose de plusieurs options stratégiques à adapter aux manoeuvres adverses et aux moyens disponibles. De belles synergies sont également possibles (Allemagne /Italie ou US/UK par exemple).
Aucune de mes dix parties ne s'est déroulée suivant le même scénario. Le pays a priori le plus faible, Italie, a été soit un acteur essentiel de la victoire de l'Axe, en controlant la Méditerrannée ou appuyant une offensive allemande en Russie, voire en génant les Anglais en Inde, soit éliminé aux 2/3 du jeu, incapable de résister aux attaques alliées. De même le Japon peut, soit se développer tranquillement et efficacement en Asie et apporter de nombreux points à l'Axe, soit être l'objet de violents assauts UK/US.
Lors de la première partie on a tendance à jouer les coups les plus simples (occupation/combat) transformant le jeu en Risk à cartes mais on comprend vite que sur les 15 à 20 tours que durera la partie cette tactique est totalement inefficace. Il faut donc prévoir le long terme avec des cartes "Statut" et "Riposte" qui semblent anecdotiques au début mais vont se révéler redoutables au final.
C'est à ma sixième partie que j'ai pu apprécier la puissance destructrice de la "Guerre économique" US, moins spectaculaire a priori qu'une bataille navale ou terrestre mais qui a anéanti les capacités militaires allemandes à deux tours de la fin, permettant aux Soviétiques de faire les derniers points gagnants.
La notion essentielle de ravitaillement et de controle des points stratégiques impose également une cohérence d'action : faire feu de tout bois et se disperser condamne inéluctablement.
La rejouabilité est très bonne car les 6 pays se jouent différemment et les scénarios évoluent en fonction des initiatives, parfois surprenantes et déstabilisantes, des autres joueurs. Le jeu est addictif car on a envie d'essayer de nouvelles stratégies, de mettre en place de nouveaux plans, sachant que la fidélité historique ne propose que des choix qui ont eu lieu ou qui auraient pu arriver (pas de troupe allemande en Chine ou de bateau japonais en Méditerrannée !) ce qui est intellectuellement très satisfaisant.
Je n'ai pas encore essayé l'extension Aéronavale, incluse dans la boite, préférant continuer à explorer toutes les nombreuses pistes du jeu de base qui se suffit largement à lui même.
J'avais ressenti le même plaisir ludique l'an dernier en découvrant "A few acres of snow" (jeu à deux mécaniquement très différent) et je suis certain que Quartermaster sera maintenant un des piliers de ma ludothèque,: facile à sortir (2 à 6), agréable et rapide à jouer, délicieusement tendu avec des scénarios variés.
Ce que pour moi doit être un bon jeu de société en 2016.