Il y a quelques mois, Bruno Faidutti avait évoqué la nouvelle production de Days of Wonder, en expliquant que Matthew Dunstan, son auteur, avait mis en oeuvre un principe de jeu fondé sur la problématique du représentant de commerce.
WAAAOOUUUUUUUUHHHH !!!
Une simulation de VRP, ça c'est de l'audace, voire de la transgression.
Autant dire que l'on trépignait d'impatience comme des petits fous à l'idée de se lancer sur les autoroutes pour aller démarcher nos benêts clients et tenter de leur refourguer des photocopieurs, en allant bouffer dans des Autogrill, pour essayer des gagner des bons d'achat Yves Rocher... Rarement un éditeur avait fait preuve d'autant d'originalité dans ses choix thématiques...
Bon, finalement, la jungle a remplacé l'A6, les Campaniles ont laissé la place à des temples anciens et les explorateurs en treillis plutôt qu'en costard Cerruti utilisent des rations de survie pour leurs bivouacs au lieu de tickets restos.
Days of Wonder nous propose donc de partir à l'aventure, mais on peut quand même garder nos charentaises, confortablement assis sur nos chaises rembourrées, avant d'explorer cette flore probablement hostile dont le trait rassurant de Julien Delval laisse penser que nous sommes en terrain connu... Cette forêt équatoriale regorge en effet de savoureux détails que l'on découvre en laissant son regard vagabonder le long des pistes.
Il est difficile de ne pas évoquer la qualité du matériel de chacune des productions de DoW; dans le cas de Relic Runners, on est encore au-delà des attentes des joueurs. Certains jeux au matériel pléthorique peuvent parfois laisser une appréhension de complexité au public familial (qui n'a jamais entendu un "ohlala, ça a l'air compliqué" dès que l'on sort un plateau, 12 cartes, 3 tuiles et 2 figurines). Ce n'est pas le cas ici; à l'ouverture de la boîte, tout le monde a envie d'inspecter chaque élément et participer à la mise en place initiale en piaffant "on-commence-on-commence-on-commence".
Days of Wonder est toujours à la hauteur de sa réputation sur le plan de la direction artistique, une véritable référence dans la sphère ludique. Relic Runners ne fait pas exception à ce constat, au contraire : la production est léchée et irréprochable, et si la quantité de matériel est importante, chaque élément est pertinent et justifié et harmonieusement intégré à l'esthétique de l'ensemble.
Alors, si la forme est séduisante, qu'en-est-il du fond ?
Sur un principe de fonctionnement simplissime et fluidissime de "je me déplace et je fouille", le début de partie consiste essentiellement à mettre en place son réseau de relais, en grapillant ça et là quelques bonus sous la forme de caisse à outil afin d'accélerer sa progression. Ce réseau permet d'étendre son périmètre d'action vers les endroits que l'on estime les plus intéressants; il faudra cependant choisir judicieusement de quelle manière on trace sa route, car il est presque illusoire de vouloir prospecter dans l'ensemble de la forêt.
Le profil de la partie évolue rapidement de l'exercice de tricotage vers ce qui constitue à mon sens le coeur du jeu : utiliser de manière efficace les pistes afin d'optimiser chacun de ses mouvements et limiter le nombre d'actions non lucratives.
Chaque coup est donc l'occasion de remplir un micro-objectif, soit en engrangeant les points, soit en profitant de l'effet de tuiles ou de caisses à outils permettant de faire évoluer son réseau pour le tour suivant.
La combinaison de ses élements donne l'opportunité de provoquer des réactions en chaîne afin d'orienter notre jeu de manière satisfaisante. Ainsi, on cherchera par exemple à passer par un ensemble de pistes longeant 2 rivières afin de placer une caisse à outil vers le bonus 'déplacement de 2 relais" en finissant sur un temple violet nous procurant 2 rations; l'utilisation de la caisse à outil "déplacement de 2 relais" ayant pour effet de modifier notre réseau vers des lieux jusqu'ici inaccessibles.
Le rythme de la partie est enlevé, chacun pouvant anticiper son coup à l'avance; c'est essentiellement dans le money time que l'interaction va venir perturber nos plans, la disparition de reliques convoitées ou de ruines pouvant servir de relai nous obligeant à revoir nos schémas de déplacement.
L'exercice intellectuel proposé est particulièrement stimulant sans être prise de tête. On n'a de toute façon jamais vu Indiana Jones faire une cure de Doliprane en pleine jungle birmane.
Le contrat revendiqué par Days of Wonder dans le cadre de sa ligne éditoriale est une fois encore brillamment rempli sur tous les points : on joue à Relic Runners comme on irait au ciné voir un film d'aventures.
Il est temps à présent de procéder au résumé des points-clés de cet avis :
- un photocopieur,
- un Campanile,
- des charentaises,
- du tricotage,
- du Doliprane.