Récit à retrouver avec photos sur mon blog Histoires de Meeples ?fbclid=IwAR2URwZHZtq3Z0ycuEAKFxJqjicOs\_Q8qM2OGYjW37-1aPBq-mjfgGKtSAM
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
-Papy ! Ils ont disparu comment les dinosaures ?
Michel leva la tête de ses mots croisés. Devant lui, le visage joufflu d’Enzo était animé de curiosité enfantine.
– Est ce que tu as demandé à Mamie ? soupira-t-il en abaissant les lunettes qui cerclaient ses yeux gris-bleu.
– Elle prépare le repas, répondit Enzo. Elle m’a dit de venir te voir parce que tu les as connus, toi, les dinosaures.
Michel ne put réprimer un éclat de rire. Germaine avait toujours eu le sens de l’humour. Elle arrivait encore à le surprendre, même après plus de soixante années de vie commune.
– Mais oui. Suis je bête ! s’exclama Michel, alors que son petit fils croisait les jambes en tailleur. Il faut dire que ça commence à remonter, l’époque des dinosaures.
Le regard de Enzo pétillait. Il se mordillait les lèvres. Il faisait cela devant chaque bande dessinée ou dessin animé qui le passionnait.
Désormais, Michel avait la pression. Il s’était pris au jeu de sa femme. Il ne pouvait plus reculer.
\*
Cela s’est passé il y a des millions d’années. Les conditions climatiques étaient déplorables. Un jour, le soleil était une boule de feu qui asséchait la terre. Un autre, une pluie torrentielle faisait déborder les fleuves et les océans. Un autre encore, il neigeait à gros flocons et les températures descendaient bien en dessous de 0°, congelant la végétation et les animaux trop faibles pour y résister.
La nourriture se tarissait. L’eau potable devenait rare. Si bien qu’un jour, les rares dinosaures encore en vie décidèrent de se réunir dans une large vallée bordée de quatre chaînes montagneuses, où poussaient de gros buissons bardés d’épines.
Ils n’étaient plus que quatre, survivants d’une période troublée par des intempéries extraordinaires qui avaient chamboulé le monde dans son ensemble.
Ah oui… J’étais là aussi, tu as raison. Nous étions donc cinq. Moi, un Diplodocus violet, un Stégosaure jaune, un Tricératops bleu et un Tyrannosaure rouge. Je peux te dire que c’était une assemblée vraiment impressionnante : le Diplodocus avec son long cou, le Stégosaure avec ses plaques dorsales et sa queue hérissée de pointes, le Tricératops avec sa collerette et ses trois cornes grosses comme celles d’un rhinocéros, le Tyrannosaure avec son corps massif et ses crocs aiguisés comme des poignards. Et moi… avec… euh… ma fourrure de mammouth et ma massue taillée dans le roc.
Les discussions allaient bon train. Le Tyrannosaure était le plus véhément. Rends-toi compte, avec la disparition des espèces animales plus petites, il n’avait plus rien à chasser. Il était menacé par la famine. Quand aux herbivores, entre les périodes de sécheresse et de glaciation, eux aussi voyaient leur nourriture s’amenuiser de semaine en semaine. Le moment était solennel, déterminant pour la survie de nos races.
Soudain, le sol se mit à trembler. D’abord imperceptiblement puis, de plus en plus puissamment. Surgissant des entrailles de la terre, quatre volcans majestueux apparurent aux quatre coins de la plaine. Leurs cimes étaient fumantes et bouillonnantes de lave en fusion. À leur base, des parterres de fleurs parsemaient la rocaille. Il y avait des pivoines au rouge éclatant, du millepertuis jaune aux étamines proéminentes, des clématites au bleu délicat, et des crocus violettes odorantes. C’était un décor à la fois somptueux et terrifiant. Je me rappelle très bien que j’étais dans un état de nervosité pas possible. Un peu comme quand j’ai dû réparer la tondeuse à gazon qui ne voulait plus fonctionner l’autre jour ? Pire encore mon Enzo, pire encore…
Dans un fracas assourdissant, le volcan aux fleurs jaunes entra le premier en éruption. Il projeta poussière et roches en fusion dans les airs, tandis qu’une coulée de lave dévalait ses pentes et embrasait la plaine en direction de l’ouest.
– LES OEUFS !!! hurla le Stégosaure.
Six nids contenant chacun un bébé dinosaure étaient dispersés dans la plaine. Il fallait faire vite si nous voulions les sauver.
Notre décision fut prise en un claquement de griffes. Chaque dinosaure devait se ruer au secours des œufs avant de se réfugier sur une montagne. Là bas, ils rebâtiraient une colonie pour sauvegarder leur espèce et espérer survivre à l’apocalypse qui s’annonçait. Je partirai avec le Diplodocus, qui était non seulement le dinosaure le plus sociable, mais aussi le plus utile à l’Homme. Il pouvait me servir de monture, d’engin de chantier, de cueilleur… Il tendit son cou de girafe et je grimpais dessus sans tergiversations. Nous embarquions dans une course poursuite contre la lave et un sauvetage désespéré des bébés dinosaures.
Le Tricératops se lança au galop. Il avait quatre pattes épaisses et puissantes. Il labourait l’herbe de la plaine. En moins de temps qu’il ne faut pour le dire, il avait déjà récupéré un œuf et il se précipitait vers la montagne au nord-ouest. Plus balourd, le tyrannosaure se pouvait lentement. On aurait dit que ce grand gaillard, d’ordinaire si terrifiant, était paralysé par la trouille. Ça, je ne lui ai pas dit en face tu te doutes bien.
Sur mon Diplodocus, je prenais le chemin de la montagne au sud-ouest. Nous avions identifié la présence d’un œuf non loin. Le volcan sur notre route déversa deux coulées de lave. Par chance, elles prirent la direction du Nord. Nous bénéficiions d’un peu de répit.
C’est au niveau du volcan jaune que cela se gâtait. Les éruptions redoublant d’intensité. Tant, et si fort que, d’un coup, BOUM, le volcan entier explosa !!!
Michel sourit en voyant son petit fils sursauter. Son emphase produisait l’effet escompté.
Un cratère démesurée se tenait à la place du volcan disparu. La lave s’en échappait en geyser. Alors que les autres volcans se déversaient toujours en coulées rectilignes, à la trajectoire plus ou moins définies, le volcan jaune avait brisé les digues invisibles qui retenaient son expansion. La lave partait en tout sens, embrasant les parterres de millepertuis, menaçant de bloquer la trajectoire du Stégosaure, compliquant le sauvetage des deux œufs qui se trouvaient sur son chemin. Nous frôlions la catastrophe.
Le sud de la plaine était devenu un brasier infernal. Le volcan jaune commençait à s’étendre vers le nord, tandis que le volcan violet avait explosé à son tour et se propageait vers l’est. C’était justement la position de mon Diplodocus. Cernés par de la lave en fusion, nous n’en menions pas large.
Au nord, Tyrannosaure et Tricératops continuaient à aller de l’avant. Les volcans de leur zone semblaient plutôt calmes. Ils en profitaient. Mais il ne fallait pas baisser la garde, car les coulées pouvaient être traîtresses et incurver leur trajectoire à tout moment.
Quant au Stégosaure, animé par une urgence tout naturelle, il prenait ses jambes à son cou. Ses plaques dorsales captaient la chaleur ambiante, lui donnant de l’énergie. Il caracola jusqu’à un nid et récupéra un œuf dans son bec de canard. Plus qu’un à sauver, et il pourrait rejoindre les hauteurs nuageuses des montagnes au sud-est.
Un sifflement terrible descendit des cieux. Dans un vacarme épouvantable, une météorite incandescente de la taille d’un boulet de canon s’écrasa à quelques mètres du Stégosaure en émoi.
Galvanisé par la peur, il courut à perdre haleine dans la direction opposée. La montagne se profilait à l’horizon. Il y était presque.
De leur côté, nos amis Tricératops et tyrannosaure avançaient difficilement. La poussière volcanique piquait leurs yeux et irritaIt leur gorge. Ils toussaient car ils ne pouvaient pas s’en protéger. Le tyrannosaure avait des bras bien trop rachitiques, tandis que le Tricératops, pattu, avait les jambes si lourdes qu’il ne pouvait pas les soulever jusqu’à sa bouche et son nez.
Je haranguais mon Diplodocus avec ferveur pour qu’il accélère et c’est ce qu’il fit. Nous arrivâmes à proximité d’un nid. Je sautais au bas de ma monture titanesque et m’en saisis avec précaution. Devant nous, un massif de buissons épineux bloquait la visibilité. Heureusement, nous sentions que la montagne n’était plus très loin.
La route du nord était bouchée. Les coulures de lave des volcans jaune et violet s’étaient rejointes. La plaine centrale n’était plus qu’un vaste incendie, ardent comme le soleil. Cependant, la célérité avec laquelle nous fuyions avait permise de sauver qautre des six œufs. Le Stégosaure était au pied de la montagne. Le Tricératops voyait distinctement la cime de son havre de paix dépasser des nuages à l’horizon. Le Tyrannosaure sentait la chaleur du volcan rouge lui caresser le dos, mais il apercevait également son objectif final. Seul mon Diplodocus n’avait pas bougé. Il avait marche sur un buisson par inadvertance et s’était coincé une épine entre les ongles. Il grimaçait de douleur et je fus contraint de m’improviser infirmiers pour la lui retirer. Tu sais bien que soigner les bobos, ce n’est pas mon fort. Et ça ne l’était déjà pas à l’époque. Pauvre de moi ! Si seulement Mamie avait pu être la pour m’épauler, nous aurions gagner un temps précieux. Mais elle n’était pas encore née. Vois tu, ton papy est une antiquité.
Une autre météorite, cette fois toute proche de mon Diplodocus et moi, fit trembler le sol de la plaine. Poussée par le désespoir, ma monture fila comme le vent. Heureusement, j’avais réussi à enlever l’épine de sa patte et à improviser un bandage. Cela se fit sans heurts. Nous touchions presque au but. Même si la lave continuait de s’entendre sur la plaine, nous avions à présent une longueur d’avance.
Soudain, le cri de victoire du Stégosaure résonna dans toute la plaine, emplissant nos cœurs de fierté et de joie. Il avait sauvé deux bébés dinosaures. Perché au sommet de la montagne, il était sain et sauf. Nous comptions bien suivre son exemple.
Nous pensions que tout danger était écarté lorsque soudain, le volcan bleu s’évapora dans une explosion rocailleuse. La lave, libérée de son entrave, s’écoula aux pieds du Tricératops, qui ne dût son salut qu’a son instinct de survie. Il se leva sur ses pattes arrière et bascula sur le dos. Sa roulade l’envoya valdinguer contre les pentes de la montagne toute proche.
Finalement, nous avions réussi. La tête dans les nuages, les quatre dinosaures poussèrent des rugissements victorieux. Ils se congratulaient mutuellement. Leur engeance survivrait. En contrebas, la plaine flamboyait. Bientôt, elle serait entièrement carbonisée, réduite en cendres charbonneuses. Du haut des montagnes, les dinosaures couveraient les précieux œufs sauvés du désastre, assurance immobile de leur descendance et de leur pérennité.
\*
– Et voilà, c’est fini. Est-ce que mon histoire t’a plu ? questionna Michel.
– Oui Papi, pour sûr. Mais… Dans ton histoire, les dinosaures n’ont pas disparus…
Michel déglutit bruyamment. Il était clair que son inventivité l’avait égaré.
– Et dis moi… Pourquoi ton histoire ressemble à la partie de SOS Dino que nous avons faite hier soir ?
Le visage d’Enzo était plus amusé qu’agacé. Décidément, les temps avaient bien changé. La nouvelle génération ne se laissait plus berner par n’importe quelle sornette. Michel remonta ses lunettes, attrapant son stylo plume, et se pencha sur ses mots croisés. Si sa grande expérience lui avait appris une chose, c’était que la justification d’un mensonge était souvent pire que le mensonge en lui-même.
La démarche de Germaine sortant de la cuisine lui sauva la mise. Ses bras portaient un plateau chargé d’une soupière fumante et d’un plat de frites croustillantes.
– C’est l’heure du dîner ! s’exclama Michel avec un entrain qu’on ne lui connaissait pas.
L’ arthrose fit craquer ses vieux os tandis que ses pantoufles à damier rapiécées le portaient jusqu’à la table de la salle à manger.