Quelque chose de séminal est à l’œuvre dans cet indéboulonnable Tikal: jouez-y avec des enfants de six, sept, huit ou neuf ans, et ceux-ci n’auront qu’à compter jusqu’à dix pour trouver leur chemin dans la grande forêt sombre et mystérieuse.
Essayez donc d’y jouer avec une pie, oui, une pie. Celle-ci saura trier le bon grain de l’ivraie.
Affrontez de vrais vétérans archéo-pilleurs au sommet des pyramides en terrasse, et ce sera la foire d’empoigne du premier au dernier arbre abattu.
Mais comment ça marche?
Balisons pêle-mêle quelques pistes prometteuses:
1- Le jeu est joli. Étalez-le sur une table et vous obtiendrez un environnement immédiatement photogénique et propice à la bonne humeur.
2- Le jeu est sensuel. Le matériel est d’un contact rassurant, les pyramides en résine sont des pièges à doigts et exercent une curieuse fascination chez les néophytes de tous âges.
3- Le jeu est consensuel, aussi, grâce à son vernis thématique clair, mesuré et bon enfant. Un avantage qui peut aussi avoir ses inconvénients auprès d’un public plus averti, certes.
4- Le jeu est d’un abord très facile, pas besoin d’être un ingénieur en catogan pour en piger les principes sur le champ.
5- Pourtant le jeu stimule raisonnablement le lobe préfrontal dorsolatéral du cortex cérébral, ce qui n’est pas donné à tout le monde.
6- Car ce jeu est aussi propice à la temporisation, aux planifications comme aux coups de poker, en principe on ne s’y ennui pas et on reste concentré sur ce que font les autres, et d’autant plus si on utilise l’indispensable variante des enchères. Tout ceci est obtenu avec des moyens simples, limpides et cohérents.
7- C’est la compète et les parties sont disputées, on se tire la bourre, on se met la pression et on bluff à qui mieux mieux. C’est rigolo et ça révèle des sensibleries cachées. C’est un jeu de société.
8- Vite installé, vite expliqué, assimilé en un tour et généralement bouclé avant que la lassitude n’étreigne trop les plus vulnérables, mais suffisamment long pour que tout le monde puisse bien tâter le terrain. Une balance qui tangue sur la durée mais qui reste à l’équilibre, à condition toutefois de s’y mettre à quatre.
9- Tout le monde joue sur la même grande carte, alors quand quelqu’un compte, tout le monde compte. C’est rigolo de le noter. Et puis compter c’est comme conter ou s’entendre conter, on est tous fait pour ça depuis que le monde est monde mon enfant.
10- Ça aurait quand même été con de s’arrêter à neuf.
Qu’est-ce qu’on pourrait bien faire de ce dernier point d’action?
Point d’action points d’actions..
Ça ce fait plus trop ça les points d’actions.
On va quand même pas se laisser paralyser par un point d’action!
Bon, dites-vous que vous aurez toujours quelque chose à faire avec ce dernier point d’action, et si ce n’est pas le cas, si vous avez par exemple envoyé tous vos stagiaires écumer la jungle, vous n’aurez qu’à le donner gracieusement au joueur le plus à la traine sur la piste de score, ou vous pourriez en faire un petit stock de ravitaillement en plaçant un p’tit marqueur sur la case de votre chef d’expédition - deux micro-variantes assez sympathiques quoique superfétatoires.
Si on mélange tout ça on obtient une brique.
Une belle brique de plus pour les murs de ma maison.
Elle n’en bougera plus maintenant, elle est bien assujettie, car même si Tikal ne me conte pas vraiment d’histoires, et même si j’ai eu l’occasion d’expérimenter d’autres jeux bien plus pyrotechniques, je suis toujours partant pour aller compter jusqu’à dix, dans la grande forêt sombre et mystérieuse.