Suite au succès de Brass en 2007, personne n'aurait imaginé qu'il serait le dernier jeu de la gamme Warfrog. Et pourtant... Martin Wallace avait décidé de lancer un nouveau projet d'édition, une gamme baptisée Treefrog. Cette gamme allait avoir pour caractéristique de regrouper des jeux contenant seulement un plateau et des pions en bois. Pas de carte, pas de tuile, pas de piécette en plastique... juste des dés si nécessaire. Cette démarche, certes intéressante, ne pouvait conduire qu'à l'essentiel, c'est à dire des jeux aux mécanismes ramassés sur des plateaux où tout est concentré.
Et c'est ainsi que Tinners' trail fut la première création de ce projet à arriver dans nos boutiques. Enfin, plus précisément, les 1500 premières boites étaient envoyées directement par le Maestro si vous aviez pris la peine d'en commander une sur le site de Treefrog. J'ai donc depuis lors le plaisir d'avoir un exemplaire signé qui porte le numéro 950.
Mais l'innovation ne portait pas seulement sur l'économie de matériel. Tinners' trail fut pour moi le premier jeu du Maestro qui contenait des règles limpides, ne soulevant aucune question sans réponse dans le livret. Si vous n'avez jamais lu les règles d'un Byzantium, Struggle of empire ou même Brass, alors vous ne pouvez pas comprendre à quel point on pouvait sentir là comme une révolution. Certes, le jeu est moins complexe que ceux précités, mais il bénéficie vraiment d'un effort de rédaction tout à fait louable tant la plupart des jeux wallaciens s'accompagnaient souvent d'une FAQ conséquentes.
Si certains joueurs n'ont jamais trouvé le thème de Brass très sexy, avec Tinners' trail, ils allaient descendre encore quelques échelons plus bas sur l'échelle du glamour : L'exploitation des mines de cuivre et d'étain en Cornouaille au XIXième siécle... et là je vous sens déjà sur le départ. Mais restez ! Vous auriez tort car Tinner's trail présente quand même quelques beaux atouts. Sachez par exeemple que le jeu s'inspire de systèmes ingénieux éprouvés comme dans Les princes de Florences (W. Kramer et R.Ulrich, Alea, 2000) pour le gain des points de victoire ou de Jenseits von Theben (P. Prinz, Queen games 2007) pour le système d'ordre de tour et de point d'action. Et c'est pas seulement moi qui l'affirme, c'est l'auteur lui-même, qui non seulement a bien travaillé la rédaction des règles mais aussi nous livre quelques réflexions sur sa nouvelle ligne de jeux et sur ses sources d'inspiration.
On réalise alors qu'il est vraiment parti du thème et que tout a un sens, même la vente de pâtés en croûte (!) pour gagner un peu d'argent. Le plus notable pour moi est ce problème de mines qui se remplissaient d'eau. En effet, les exploitations d'étain et de cuivre se heurtaient régulièrement aux difficultés engendrées par l'eau qui envahissait les galeries. Il fallait donc s'équiper de pompe ou installer des drains afin d'en retirer le plus possible mais dans le même temps, cela augmentait les prix d'exploitation et diminuait les quantités produites. Et bien cela, le jeu le simule d'une manière simple et efficace. Il y a du réalisme aussi pour les prix de vente des minerais : A chaque tour, ils évoluent sur des jets de dés, avec toutefois une correction automatique de l'aléa ; Martin Wallace s'en explique : la découverte soudaine de nouveaux gisements dans un autre coin de l'Angleterre faisait tomber les prix durant une période plus ou moins longue, difficile à prévoir ; Certaines mines fermaient parfois en raison d'une demande facilement satisfaite, par contre les prix remontaient vite dés que des gisements s'épuisaient.
Je passe sur d'autres problématiques simulées également avec simplicité pour le transport, le recrutement des travailleurs, l'acquisition des concessions, la prospection de nouveaux gisements pour m'attarder sur les investissements, entendez là, l'achat de points de victoire à la fin de chaque tour complet (une partie se joue sur 4 grands tours). Oui, il vous faudra choisir la quantité d'argent que vous consacrerez à l'achat de points, sachant que vos finances doivent restées conséquentes pour exploiter vos mines au tour suivant. Un système d'investissement assez vicieux "par case" oblige les joueurs à faire des choix difficiles et pour mettre un peu plus la pression, le coût des points augmentent au fil des tours.
J'arrête là pour les qualités ludiques de Tinners'trail... passons aux défauts maintenant.
Tout d'abord, les illustrations : Si les pions en bois (petits bateaux, petits trains...) sont sobres mais plutôt sympathiques, la carte de la Cornouaille par contre... oh lala ! Mais qu'est-ce qui est passé par la tête de Peter Dennis (l'illustrateur) ou de l'auteur pour nous proposer ça ? On dirait, une botte (ou une trompe) d'un vert un peu sale, entrecoupée de ligne noires, la seule "déco" étant la représentation de cubes colorés pour la mise en place. Sur le plateau, il y a aussi des tableaux (ça fait partie du concept Treefrog) qui contiennent toutes les informations nécessaires pour jouer. Là encore, le choix des couleurs laisse perplexe. Nous étions en 2008 quand même et les éditeurs soignaient déjà depuis un moment l'aspect de leurs jeux. Mais cette austérité fut considérée pendant longtemps comme la "marque" des jeux wallaciens. Et puis ils ont recommencé avec After the Flood qui fut le Treefrog suivant, mais celui-là, je vous en parlerai plus tard.
Donc, question illustrations, couleurs... c'est moche. Même moi qui suis plutôt indulgent là-dessus, je dois en convenir.
Maintenant, le défaut principal n'est pas là selon moi. Tinners'trail est conçu pour être joué à 3 ou 4 joueurs (la configuration 2 joueurs n'est pas prévue) mais la pratique à montré que le jeu est un peu trop mollasson à 3 joueurs si on s'en tient aux règles officielles en tout cas. En effet, la tension sur les investissements est bien moindre que dans les parties à 4 joueurs et rapidement, une variante est apparue pour "retendre" tout cela. Aujourd'hui encore, je ne comprends pas pourquoi l'auteur n'a rien proposé dans les règles pour adapter selon le nombre de joueur cette phase importante du jeu.
Enfin, j'ai trouvé que Tinners'trail se renouvelait un peu moins bien que les jeux précédents du Maestro. Il est plus "sec", moins "stratégie globale". On est plus sur de la prise de risque avec de la gestion, un mélange à l'équilibre délicat que les joueurs n'apprécient pas toujours, tout comme la détermination semi-aléatoire de certains éléments (richesse des gisements, évolution du marché)... même si répétons-le, ça reste thématique.
Toutefois, Tinners' trail est un jeu que je ressors encore de temps à autres avec plaisirs en raison de sa (relative) simplicité et des problématiques qu'il proposent. Tinners'trail est un bon jeu du Maestro, pas son meilleur, mais il mérite quand même quelques détours.