Il y a quelques temps de cela, les administrateurs de la page Facebook de FunForge s'étonnaient du fait que Tokaïdo n'ait pas encore trouvé de distributeur en Allemagne.
La raison est pourtant d'une trivialité absolue : il n'y a de toute évidence pas assez de marron sur la boîte pour susciter l'intérêt du public germanique, pour lequel un jeu à l'esthétique trop soignée est nécessairement suspect.
Il suffit de jeter un oeil aux récentes grosses productions teutonnes, entre Brügge, Wunderland, Sanssouci ou Rococco pour réaliser que l'habillage d'un jeu se doit de rester coincé au siècle dernier, avec des compositions qui feraient rire un étudiant de 3 semaines en infographie, des contrastes austères et fadasses propices à la déprime, et des personnages au faciès cul-cul-la-praline, pour s'assurer un minimum de considération.
Dans la conscience ludique allemande, un jeu de société, c'est un truc sérieux et visuellement désuet, parce qu'on s'imagine que les éditeurs ont privilégié le gameplay et la robustesse à l'apparence, et qu'un jeu un peu trop joli doit forcément cacher des lacunes sur le plan de l'intérêt ludique.
(à moins qu'ils aient tout simplement des goûts de chiotte.)
Messieurs de FunForge, vous êtes donc beaucoup trop en avance sur le plan de la direction artistique pour voir vos productions s'épanouir outre-Rhin. Faites-donc du moche, et vous aurez un peu plus de crédit pour prétendre recevoir le Spiel.
Ystari l'a d'ailleurs très bien compris.
[EDIT : je ne sais pas qui est le gredin qui a piraté mon compte pour ajouter cette saloperie de dernière phrase...]
Point.
Tokaïdo est donc le troisième jeu de Antoine Bauza ayant pour thème le Japon; l'un d'eux a remporté l'As d'Or - Jeu de l'Année 2012, un autre a remporté le Spiel des Jahres 2013, celui-ci a été édité par FunForge, ce qui est au moins aussi respectable quoique probablement moins lucratif.
La passion de l'auteur pour le pays du soleil levant n'est donc plus à démontrer. Elle est à chaque fois l'occasion de proposer une expérience ludique singulière et immersive.
Par exemple, dans Hanabi, les joueurs sont totalement habités par leur rôle d'artificier perdu dans l'obscurité qui cherche malgré tout à réaliser la prestation artistique la plus honorable...
non, je déconne.
dans Hanabi, les feux d'artifices, on s'en tamponne le coquillard avec une raquette de jokari... on fait des suites de la même couleur à plusieurs, et ça n'empêche pas le jeu d'être formidable, cela dit, je ne vois pas pourquoi je continue à me perdre en conjectures au sujet de ce brillant jeu coopératif, puisque le présent avis concerne Tokaïdo, dans lequel il s'agit cette fois de faire le plus beau voyage, celui où le pèlerin verra son âme transportées par la richesse culturelle du Japon féodal, l'esprit émerveillé par la contemplation de paysages oniriques, mais je me laisse sans doute un peu trop submergé par le thème.
ouais, Tokaïdo donc.
une simulation de promenade,
avec sa boîte en pelliculage mat et vernis sélectif.
qui confirme que Naïade est clairement la plus grosse bestiole en matière d'illustration de jeux de société.
ma parole, comment qu'c'est beau.
tellement, qu'on n'ose à peine y toucher.
et pis comment qu'c'est simple.
tellement qu'on se dit que ça va peut-être pas le faire.
et pis, si, finalement, ça l'effectue.
Je ne vous ferai pas l'affront de vous expliquer le principe, il existe une foultitude de moyens de se faire une idée du fonctionnement.
Pour ce qui est de l'intérêt, Tokaïdo propose bien plus de choix, de dilemnes et de libre arbitre que ne le laisse présager la lecture des règles et certains commentaires lus de ci de là.
Sans être un expert en stratégie, chacun réalise assez intuitivement que jouer de manière un peu trop automatique et stéréotypée face à des adversaires un tant soit peu dégourdis court au devant d'une rouste des plus sévères. Le palmarès associé à l'adaptation sur Boardgamearena montre d'ailleurs de façon concrète qu'il existe bien de bons joueurs de Tokaïdo, et que l'issue d'une partie ne doit finalement pas grand chose au hasard.
D'un point de vue personnel, le simple fait de me demander avant mon tour si "prendre la 3ème carte montagne au risque de délaisser la ferme et de me retrouver en short au moment de régler le repas, les espèces de clampins pétés de thunes autour de la table ayant certainement dans l'idée de me faire raquer une blinde pour les plats les plus raffinés si jamais j'arrive à la bourre à l'auberge, sachant que si je laisse cette carte, l'autre empaffé va se précipiter dessus, compléter son panorama et marquer le bonus qui va avec" constitue déjà un niveau de réflexion qui me satisfait.
... je schématise un peu,
... mais j'aime vraiment beaucoup beaucoup.
Le rythme des parties est ma foi plutôt enlevé dans la mesure où le temps nécessaire à résoudre le tour d'un joueur se situe entre une petite poignée de secondes et une grosse poignée de secondes, ponctuée bien souvent par une mise à jour du score que l'on oublie une fois sur 5. Il n'est en effet pas rare de réaliser que l'on a omis de pousser son petit marqueur sur la piste 3 tours après avoir été pataugé dans un onsen, trop absorbé qu'on était par le coup suivant. Ceci n'est pas préjudiciable puisqu'il est effectivement possible de vérifier les scores à tout moment, à partir des cartes et des offrandes au temple de chacun des joueurs. Certains préfèrent d'ailleurs ne pas utiliser la piste et ne faire les comptes qu'en toute fin de partie... ça se discute, puisque l'on perd un peu la tension de la course aux points.
Pour terminer sur un point tout à fait anecdotique, il est à noter que Tokaïdo a connu son syndrôme "Publishers can't win".
En effet, suite aux retours des utilisateurs après épuisement du premier tirage, l'éditeur a choisi de modifier certains choix sur les exemplaires suivants, en proposant notamment des marqueurs de score un peu moins nanoscopiques et l'absence d'effet "toilé" sur les tuiles personnages, ce qui lui a bien évidemment valu d'essuyer une nouvelle pluie de critiques de la part des possesseurs de version issue du tirage initiale, parce que, voyez-vous "ah non mais alors vraiment, merci hein, alors du coup on se retrouve avec une version obsolète alors qu'on est les early owners, voilà comment on est remercié, ah bravo, clap-clap-clap, alors on est vraiment des vaches à lait, hein, merci, ah, vive la France".
Ayant eu l'opportunité de jouer sur des exemplaires des 2 tirages, je puis témoigner que les nouveaux marqueurs de score ont en effet vu leur diamètre augmenter de 3 millimètres.
putain, ça change la vie.
comment que j'ai carrément bien fait d'attendre.
en revanche, il faut désormais se fader le dépunchage des piécettes, y compris l'intérieur de celle-ci, ce qui pour un bras cassé tel que votre serviteur constitue une opération de bricolage non dénuée de risque pour l'intégrité physique; je n'ai malheureusement pas la dextérité d'un enfant chinois.
A la lumière de ces quelques réflexions, je ne vois aucune bonne raison de se passer de cette oeuvre remarquable, et je m'en vais de ce pas apprendre l'allemand afin d'ouvrir les consciences aux compatriotes de Harald Schumacher sur les notions de raffinement et de bon goût.
Il est temps à présent de résumer les points clefs de cet avis :
- une praline,
- une raquette de jokari,
- du vernis,
- un onsen,
- du lait,
- Schumacher enfoiré.