Primordial soup, Ursuppe en VO, est l'exemple type du jeu au thème dit décalé, un brin fantasque, mais qui bien a failli remporter le Deutch Spiele Preiss en 1998 ; il a fallu un Tigre&Euphrate (dont l'illustratrice était...Doris Matthäus) pour le priver de cette belle récompense. Ursuppe n'ayant pas eu droit à une édition VF officielle (mais toutefois à une version anglaise), on peut néanmoins trouver sur la toile une traduction dans la langue de Voltaire des règles et des textes sur les cartes. Alors de quoi s'agit-il exactement ?
Nous sommes aux origines de la vie.
Un grand plateau représente une étendue d'eau, dans laquelle les premières formes de vie, des amibes, vont naître, tenter de se multiplier et de s'adapter à un environnement changeant. Pour citer le professeur Malcolm, la vie trouve toujours un chemin et pour cela, nos amibes vont avoir recours à des transformations génétiques et surtout un régime alimentaire particulier. En tant que joueur, vous êtes en charge du développement et de la survie d'une colonie d'amibes reconnaissables à leur couleur et à leur forme ; Suite à plusieurs tours de jeu avec autant de décomptes, la partie s'arrêtera lorsqu'un ou plusieurs joueurs auront dépassé les 40 points et évidemment, celui qui sera le plus avancé au delà des 40 points l'emportera.
Franchement j'aurais vraiment aimé être présent durant les séances test en compagnie des deux auteurs, Doris Matthäus et Frank Nestel, surtout lorsqu'ils ont expliqué aux premiers testeurs qu'il allait falloir survivre en mangant les déjections des autres...
... Oui, vous avez bien lu, votre survie dépendra du caca des amibes des autres joueurs afin de nourrir et maintenir en vie les individus de votre colonie. Le jeu pourrait se résumer ainsi : A mon tour je déplace mes amibes (elles se laissent dériver ou bien elles sont capables de choisir leurs déplacements, j'y reviendrai), je nourris mes amibes en donnant à chacune d'entre elles 3 cubes déjections présents sur place (attention, uniquement des cubes d'une couleur différente de la votre, une amibe ne mange pas les cacas de sa colonie quoi...), je fais digérer mes amibes qui à leur tour, ben...font deux cubes déjections. Si jamais une de vos amibes ne peut se nourrir, elle prend une blessure et ne laisse rien derrière elle (logique, elle n'a rien mangé). Si c'était sa deuxième blessure, elle meurt à la fin du tour la pauvrette et en se décomposant, laisse des cubes nourritures de la couleur des autres joueurs... c'est pas poétique ça ?
Ensuite, arrive une phase durant laquelle vous pourrez équiper vos amibes de nouvelles adaptations génétiques, ce qui coute des points d'énergie. Par exemple, en les dotant de la capacité de se mouvoir, vous serez moins souvent dépendants des caprices des cartes environnements et pourrez mieux orienter leurs déplacements. Vous pouvez les doter de tentacules (pour emporter un peu de nourriture), ou la possibilité de s'aggriper (afin de rester sur place quand la nouriture est abondante), en faire des parasites, leur donner une plus grande résistance au manque de ca...heu...nourriture, une capacité de se reproduire avec moins d'énergie, ou encore faire de vos amibes des prédateurs pour les autres ! Aussi, le gène de défense peut être fort recherché...
Il y a une trentaine de cartes gènes différentes, très utiles pour survivre et parmi elles il y a notamment "l'Anti-radiation"...
... parce que je vous ai pas dit : A chaque tour, vous placez une nouvelle carte environnement au centre du plateau qui non seulement indique une direction de déplacement pour les amibes incapables de se mouvoir seules, mais aussi précise un niveau d'ozone. Si le total des points de mutations présents sur vos cartes gènes est supérieur au niveau d'ozone de la carte environnement du tour, vous perdez des cartes gènes ou bien des points d'énergie. Et oui, c'est bien les gènes, mais en les accumulant, vous prenez le risque d'être sensibles aux radiations. Aussi, le gène "Anti-radiation" limite un peu les dégâts.
Chaque fin de tour, un décompte intervient et vous marquez des points en fonction du nombre d'amibes que vous avez en jeu (théoriquement jusqu'à 7, mais c'est pas facile) ainsi que de vos cartes gènes.
Un petit mot sur le matériel : Vous avez un grand plateau, des cubes de quatre couleurs différentes, quelques jetons, des cartes dont certaines sont jouées sur un mode avancé, et des amibes : elles sont représentées par des pions en bois aux couleurs des cubes, ronds pour les uns, carrés, triangulaires et hexagonaux pour d'autres. Au centre de ses pions, viennent se ficher des petits bâtonnets (c'est à monter vous-même) destinés à recevoir des perles de blessures. Et oui, Ursuppe est en plus un jeu dans lequel on enfile des perles. Les illustrations montrent des amibes à l'aspect plutôt sympathique, certaines faisant quelques misères aux autres.
Sous des dehors d'un jeu plutôt rigolo, aux parties animées et émaillées de divers commentaires plus ou moins inspirés, genre (et c'est du vécu) "Oui, et bien on peut dire que c'est le seul jeu où quand tu es dans la m...., c'est une bonne chose !", Ursuppe propose quelques défis vraiment intéressants.
On peut en effet apprécier les problèmes de gestion et de logistique auxquels on est confronté durant la partie, les nombreuses interactions directes et indirectes, ainsi que les possibilités tactiques contenues dans les cartes gènes. J'ai vu des parties se transformer en pugilat dans la flaque d'eau, car quand on a en jeu des amibes avec à la fois des gènes "Attaque" et "Endurance" ou encore "Agression" face à d'autres qui se déplacent vite ou dotées de Défense, la tension monte rapidement. De même, quand un joueur commence à s'approcher dangereusement de la barre des 40 points, c'est un peu la panique dans la marre, chaque décompte de fin de tour pouvant être le dernier.
Ursuppe, c'est pour moi de bons souvenirs de parties, mais c'est aussi un jeu qui a conservé le charme des jeux de l'Ecole allemande des années 90 et début 2000, avec une certaine simplicité, de la fraicheur, de l'humour comme ici, mais aussi de l'originalité. Son aspect un peu vieillot est un atout pour les joueurs cultivant leur nostalgie, mais il peut être aussi un objet de curiosité pour des joueurs plus jeunes. Il m'arrive encore de le faire découvrir pour amuser et surprendre et après une partie qui engendre pas la tristesse, cela se termine souvent pas un "Et tu crois qu'on peut encore le trouver ?".