Black Fleet fut, avec Splendor (oui, rien de moins), le premier lot de jeux produit par les Space Cowboys (pour mémoire, édition fondée par Marc Nunes, Philippe Mouret et Croc, soit les Grands Anciens d’Asmodée, ceux de la création, du temps de Siroz).
Alors, il y eut beaucoup de buzz et d’attentes chez les joueurs. Forcément.
Et là sort donc ce qui semble être un "petit" jeu familial de pirates presque kawai (un peu à la Jamaica) de pickup & delivery et d’affrontements aux règles plutôt simples avec plein d’aléatoire mais avec des cartes au lieu de dés.
Alors, les attentes des joueurs furent souvent déçues. Forcément.
Surtout que comparé à la référence qu’est devenue Splendor…
Pourtant, les illustrations (un peu à la Jamaica) et le matériel sont irréprochables (pièces en métal, figurines de bateaux très respectables avec un emplacement pour la cargaison, thermoformage, iconographies immédiatement lisibles, associations de cartes représentant un tableau… oui, un peu à la Jamaica) mais pour un prix qui devient alors du coup légèrement excessif par rapport à ce qui est attendu pour ce type de jeu et au public cible.
Alors oui aussi, le jeu présente un chaos certain, surtout à 4 (probablement le nombre de joueurs optimal) avec de la tactique très immédiate, de la négo, de l’opportunisme, des fourberies dans tous les sens, de la rancune et des mauvaises pioches de cartes actions tout aussi injustes. On pourra jouer les pleureuses, à hurler au Backstab, au king making et surtout au Win to win (enfin, surtout pour se la péter avec des anglicismes). Car, en effet, la puissance des joueurs devient très exponentielle avec l’achat d’améliorations au fur et à mesure de la partie (des capacités spécifiques, choisies aléatoirement en début de partie et cachées aux autres joueurs jusqu’à leur achat et qui ont été en sus vivement critiquées dans leur équilibrage par chez moi). Et que cette puissance est également déclencheur de la fin de partie (le premier à avoir fini ses améliorations remporte la partie).
Sauf que c'est sans compter que le jeu a probablement été sacrément playtesté. Si à leur lecture, l’équilibrage entre les différentes capacités peut paraître parfois douteux, cette impression se tasse fortement sur le plateau. En outre, la possibilité de choisir parmi les cartes action piochées (tiens, un peu à la Jamaica ?) permet également un peu plus de contrôle et de planification. Elles offrent aussi et surtout plus d’équilibrage par rapport à de simples jetés de dés : ainsi, par exemple, si l’effet d’une carte se montre puissant sur un type d’actions donné, les autres actions qu’elle déclenche seront alors médiocres et/ou limitera le nombre de cartes disponibles en main. C’est alors à chacun d’arriver à équilibrer d’un tour sur l’autre. La multiplicité des moyens de scorer (soit la récupération de doublons permettant d’acheter les améliorations) ouvrent également le champ des possibles et donc une meilleure maîtrise du chaos. Enfin, l’aléa est totalement absent des affrontements : être à portée signifie toucher. Basique, efficace…
Et donc très dynamique : les interactions sont excessivement fortes, par le jeu des affrontements constants et des blocages (positionnement des bateaux entre eux). Il va donc falloir louvoyer avec les bateaux marchands, pilonner au moyen des bateaux pirates et des frégates, tout en essayant de bloquer les adversaires sans trop s’exposer. Car, même si le plateau paraît grand, les adversaires arrivent (beaucoup trop) vite à portée avec exactement les mêmes intentions.
Enfin, l’aspect punitif des combats, pourtant omniprésent, se montre léger au final (un peu comme à la Jamaica… Bon ça va, j’arrête) : un bateau coule. Pas si grave, il reviendra au prochain tour depuis un coin du plateau, probablement à portée d’attaque d’un adversaire à piller. Appuyé par les graphismes mignons, malgré le 14+ sur la boîte, le jeu pourra convenir même aux préados rancuniers : la violence et le chaos restent abstraits, supportables, les attaques subies ressenties comme des suites de petites crasses ponctuelles et non comme un crime contre l’humanité (ou contre leur personne, ce qui revient à peu près au même à cet âge-là).
Bref, ne serait-ce le prix, un excellent jeu familial pour un public déjà un peu joueur. Et Jamaica dans tout ça ? Rien à voir. Et à choisir - si cela a un sens - j’embarque définitivement sur le Black Fleet.