Pas étonnant que Rosenberg déclare que Hallertau est son dernier gros jeu, puisque ce n'en est déjà plus vraiment un. En apparence ultra touffu, c'est en réalité un faux gros jeu très répétitif et pépère, mais aussi d'une grande pureté, un peu l'inverse du foisonnant Ora et Labora, qui semble très simple à la mise en place mais nécessite de bien explorer et apprivoiser les chaînages et combos d'une partie à l'autre, avec la possibilité (et souvent l'obligation) de tenter des choses complètement différentes. Cette totale absence de bac à sable dans Hallertau n'est pas un défaut en soi, sachez juste que vous allez avoir une impression très casanière de faire du surplace dans votre ferme: ces paysans sont loin d'avoir les possibilités ou les ambitions créatives d'Agricola, faux jumeau qui ressemble en comparaison à une aventure épique extraordinairement suprenante! Si vous êtes fan des gros builders créatifs et vertigineux à la Luciani, vous risquez fort de vous ennuyer dans cette petite ferme bien reglée!
En contrepartie, vous allez pouvoir vous concentrer sur une très agréable pose d'ouvrier et une optimisation des productions très didactique (tout est visible) et pas trop punitive. Cet avis peut sembler trop négatif, mais en fait j'ai du mal à ne pas le comparer à des jeux d'optimisation beaucoup plus osés comme Lorenzo, Golem ou Ora et Labora, devant lesquels il ferait bien piètre figure si on le jugeait sur les mêmes critères. Jouer à Hallertau après Agricola, c'est un peu comme regarder une adaptation télévisée de votre film préféré. Pour continuer dans la métaphore cinématographique, si Agricola c'est Pialat, Hallertau c'est Sautet. En réalité, il ne jouent tout simplement pas dans la même catégorie, on pourrait d'avantage considérer ce dernier comme un point final tranquille, qui s'avère vraiment sympathique et facile à sortir à condition qu'on accepte ses limites évidentes.
Maintenant, pour chipoter, j'ai un gros doute sur l'utilisation omniprésente des cartes, dont les effets ne font pas vraiment rêver... mais laissent quand même songeur quant à la part de chance qu'elles impliquent! Ceux qui regrettaient la chance due à la pioche initiale d'Agricola passez votre chemin, ici c'est TOUT LE TEMPS! Ce qui gêne le plus avec ces cartes, ce n'est pas nécessairement la chance mais la sensation qu'elles vous indiquent en permanence quoi faire, réduisant encore l'aspect bac à sable. En regardant sa main remplie de mini objectifs d'un intérêt douteux, on a une sensation de jouer à un tout petit jeu de cartes chaotique et banal, qui tenterait de rajouter une couche aux mécaniques initiales pourtant brillantes, un peu comme les atroces objectifs cachés de Takenoko. Pour faire passer la pilule de la pioche ingrate, il aurait peut-être fallu insérer une mécanique automatique et gratuite de deck building, plutôt que de faire encore payer des ouvrier pour repiocher jusqu'à trouver quelque chose qui combote bien. Très étonnant de la part d'un designer aussi chevronné.
En conclusion, si la mécanique répétitive et le manque de liberté ne vous effraient pas, si vous ne recherchez pas le vertige des dizaines de directions possibles à chaque tour, c'est peut être un très bon jeu pour vous, car une fois renoncé à ces possibilités créatrices on peut se concentrer sur la belle mécanique de base sans beaucoup de prise de tête et avec des résultats presque immédiats, c'est sans doute l'avantage d'un tel jeu extrêmement scripté. Finalement, Rosenberg semble avoir décider de faire avant tout un jeu efficace pour conclure sa série agricole, et sachant qu'il avait déjà essayé plein de choses, il a peut-être juste voulu livrer un système qui tourne bien, vers lequel on aura envie de revenir non pas pour tester des stratégies différentes mais pour retrouver une machine qui se déploie tranquillement, toujours de la même façon, avec un matériel réellement magnifique. Un jeu conservateur en somme...
A noter: le jeu solo ne demande AUCUN ajustement. Il y a juste un peu plus de cubes présents pour prendre des places, et ça suffit pour simuler les autres joueurs, puisque l'ennemi principal du jeu n'est pas un joueur adverse mais la montée des prix pour faire progresser ses artisans. C'est d'ailleurs le truc qui rend la progression du jeu très sympa, un peu comme si les paysans d'Agricola n'avaient pas très faim au début, mais se mettaient spontanément à demander chacun d'avantage de nourriture en cours de partie! En plus, la plupart des phases multijoueurs s'effectuent en simultané, ce qui renforce encore l'impression de multisolo. C'est donc bien une matrice de jeu solitaire, et de ce fait le scoring (sans le moindre automa) fonctionne superbement bien: sachez que si vous avez comme moi du mal avec la plupart des modes solo, vous avez là un candidat idéal pour vous faire changer d'avis. Très rapide à mettre en place quand on connaît les règles et qu'on range bien les cartes, ne laissant pas de place au doute tout le long du déroulement du jeu (on vérifie de temps en temps le pouvoir d'une carte ou une autre), Hallertau est le meilleur jeu solo que je connaisse à ce jour.
PS: Comme moi, vous n'aimez PAS DU TOUT la main de cartes de Hallertau, vous trouvez qu'elle vous distrait du jeu et vous guide beaucoup trop??? Pas de souci, utilisez ma variante: personne ne prend de main de cartes, mais vous retournez TOUS les tas du plateau central, ce sont désormais des objectifs communs qui peuvent être accomplis au coût des ouvriers de leur emplacement (le classique objectif commun quoi). Quant aux cartes de votre étable, ne les utilisez pas seulement comme compteur de tour mais comme un objectif personnel gratuit. Alors attention, cette variante c'est un peu la fête à neuneu de la chance, mais bon au moins on n'a plus cette atroce main d'objectifs ennuyeux à gérer.