S’il n’était pas à ce point inscrit dans son thème, *Liberté* aurait pu être un simple jeu de majorité tout à fait classique. C’aurait été sans compter sur le talent de Martin Wallace, qui nous fait ici sentir l’odeur de la poudre à canon, la volonté du peuple, la force des baïonnettes, et la fougue des cocardes en furie, tout ça avec quelques cartes et petits pions de bois. Il est fort, tout de même, le Martin. D’ailleurs, comme le fait souvent remarquer un ancien poivron, *Liberté* est certainement le meilleur jeu créé sur la révolution française – et il a été commis par un anglais.
L’une des principales originalités de *Liberté* tient au fait que comme dans *Byzantium*, les joueurs ne jouent pas une faction en particulier, mais tentent de sauter dans le train de l'histoire en marche, de tourner constamment dans le sens mouvant du vent, quitte à manger à tous les râteliers. Tant qu’on peut intégrer le gouvernement, au fond, on est prêt à soutenir n’importe qui. Et tant pis si au passage il faut étêter quelques zigotos.
Il ressort donc au départ une impression de chaos nébuleux, qui restitue bien le contexte révolutionnaire instable, mais duquel finira bien par émerger une tendance politique, du moins jusqu’au prochain tour. Car se hisser au gouvernement, c’est aussi s’affaiblir localement... Le système de décompte est d’ailleurs assez intrigant au début, notamment à cause des nombreux cas d’égalité à résoudre. Malgré tout, le jeu est moins chaotique qu’il en a l’air, et combine astucieusement opportunisme immédiat et stratégie de moyen terme. Le hasard des cartes est certes présent, mais lissé par la gestion de sa main d’un tour sur l’autre. Surtout, le vrai tour de force de *Liberté* est de proposer des conditions de mort subite, qui outre leur évidence thématique, ont un intérêt ludique incroyable. La double épée de Damoclès que sont le raz de marée révolutionnaire et la contre-révolution royaliste permet d’entretenir la tension jusqu’au bout, puisque même avec une confortable avance au tableau, on n’est jamais à l’abri d’un coup de tonnerre politique (de même qu’avec un retard insurmontable, on peut toujours espérer la victoire). Cette tension va d’ailleurs croissant, entre la montée en puissance inexorable des révolutionnaire et l’ouverture de nouveaux fronts (avec un nombre de points de victoire distribués par tour qui augmente au fur et à mesure de la partie).
Alors oui, il vaut mieux éviter d’y jouer à trop nombreux ; au-delà de quatre joueurs, la lisibilité devient plus difficile, et le jeu perd indéniablement en contrôle. En dehors de ça, *Liberté* est pour moi un jeu captivant, avec un thème terriblement immersif, le tout se tenant dans une durée largement raisonnable. Vous pouvez montrer ce jeu au peuple, il en vaut bien la peine !