... Ou comment une boite bleutée parvient à rivaliser avec une boite typée tapisserie de Bayeux.
Venez... approchez, ne soyez pas intimidé, ceci est bien un avis sur "Richard coeur de Lion", titre de l'édition VF de Tilsit sortie en 2004 suite à la réédition (mais pas à l'identique, on va le voir) par Kosmos en 2003 du Löwenherz sorti chez Goldsieber en 1997... vous me suivez ? Alors pour faire plus simple, on va parler de Löwenherz pour la première édition (1997) et de Richard Coeur de lion pour la seconde (2003).
C'est donc un avis, mais un avis comparatif car Richard coeur de Lion est indissociable de son grand frère et ce n'est pas toujours facile d'être le cadet un peu rejeté dans l'ombre d'un champion adulé. Il faut dire que son aîné, le Löwenherz de chez Goldsieber, était un titre souvent cité à l'époque par les joueurs amateurs de jeux plus costauds que la moyenne, dés qu'on leur demandait de présenter leur "Top 10" ou bien simplement "Quel est selon vous le meilleur jeu de Klaus Teuber ?"
Oui, l'auteur, c'est monsieur Klaus "Kätan" Teuber, qui au lieu de ressortir Löwenherz avec ses règles originales, avait modifié son jeu pour des raisons peut-être commerciales ou à la demande de l'éditeur (ce qui revient au même) afin sans doute de le rendre plus abordable, pour tout type de joueur, plus"familial"aussi.
Alors pour résumer brièvement les deux jeux, les joueurs s'affrontent pour constituer des fiefs en installant au départ châteaux et chevaliers, puis en posant des frontières pour délimiter leur possessions en essayant d'intégrer des forêts, des villages, des mines ainsi que d'autres chevaliers pour se renforcer et prendre des territoires chez les voisins. Vous pourrez vous constituer plusieurs fief (3 ou 4 selon les configurations), mais vous ne parviendrez pas à tous les développer de manière égale. Et tout cela pour gagner quoi ? Mais des points de Victoire, du Prestige, de la Gloire même... Alors autant le dire tout de suite, si le thème est un affrontement durant la période médiévale, le roi Richard a vraiment une présence très discrète et l'action pourrait se dérouler n'importe où en Europe sous le règne d'un autre souverain à la même époque. Techniquement, les joueurs réalisent des actions que leur permettent des cartes afin d'agir sur un plateau constitué de tuiles dont la mise en place renouvellent la géographie des territoires à chaque partie... un beau clin d'oeil aux Colons de Catane.
Bon, tout ça c'est d'accord, mais quelles sont les différences alors ?
Et bien Löwenherz est un jeu qui mêle habilement choix simultanés, négociations, enchères, placements, grignotage de territoires adverses et naturellement coups fourrés divers alors que Richard Coeur de Lion (RcdL pour faire plus court) est un jeu qui mêle habilement placements, grignotage de territoires adverses et naturellement coups fourrés divers.
Ah! Vous avez remarqué ? Entre les deux, il manque bien quelque chose...
Le principal changement pour rendre le jeu moins agressif (objet ensuite de bien des critiques) a consisté à faire disparaître la phase négociations/enchères pour le choix des actions. A Löwenherz, vous n'êtes pas assurer de pouvoir jouer une action lors d'un tour, il faut la gagner. Il peut y avoir négociation et parfois enchère rien que pour pouvoir jouer. Certes, si vous acceptez de pas jouer l'action, vous prenez l'argent proposé par votre adversaire, mais en cas de désaccord et perte de l'enchère cachée, l'argent va à la banque et vous n'aurez aucune compensation. Cette phase qui génère une certaine tension (et qui est potentiellement assez méchante) disparaît dans RcdL. Désormais, un joueur se retrouve toujours assuré du choix entre deux actions : vendre une carte qui sera placée sur l'espace "Chancellerie" (pour gagner de l'argent) ou bien jouer l'action d'une carte (qui est ensuite défaussée) en payant son coût. La gestion financière devient ainsi plus simple, alors que Löwenherz impose une bonne estimation de la valeur d'une action à un moment donné et de l'argent versé à un adversaire... avec le risque de se tromper.
En raison de cette grande tension engendrée par cette phase de choix des actions non présente dans RcdL, j'aurais donc tendance à dire : Löwenherz 1 – RcdL 0
Une seconde modification importante des règles concerne la fin de partie. Dans Löwenherz, c'est l'apparition de la carte annonçant la mort du roi qui met fin immédiatement au jeu. Le nombre de tours est incertain, mais on peut l'évaluer car cette carte fait obligatoirement partie des 4 dernières de la pioche. Dans RcdL, c'est curieusement plus complexe. En effet, la fin de partie peut se produire de deux manières différentes : Soit un joueur parvient à un nombre de points fixé selon la configuration (30 points à 4 joueurs, 40 à 3 joueurs, 50 à deux joueurs), soit au moment où la dernière carte de la pioche est prise par un joueur. Cette modification est évidemment loin d'être anodine et engendre des stratégies intéressantes. Par exemple, un joueur en tête et assez proche de la "ligne d'arrivée" n'aura aucun intérêt à ce que la partie s'éternise car immanquablement, ces adversaires vont chercher à lui reprendre du territoire. Or, la perte de territoires "à points" fait reculer le perdant sur la piste de score et avancer le nouveau possédant. Donc, soit ce joueur tenteras d'atteindre le niveau de points requis pour la victoire immédiate, soit il cherchera à épuiser la pioche des cartes. Ces adversaires évidemment auront tendance à se servir dans la chancellerie. Autre détail, si la partie se termine aux points, la richesse finale donne 5 points pour le plus riche, 3 pour le second.
Ces conditions de fin de partie et les subtilités tactiques qui en découlent donnent une tension qui compense selon moi la perte de la phase des cartes action. Donc cette fois, je dirais Löwenherz 1 – RcdL 1
Sur le contenu des cartes maintenant : Les deux jeux partagent les mêmes actions, à savoir poser des frontières, ajouter des chevaliers, imposer la paix, agrandir un fief, recruter un chevalier adverse. Löwenherz propose en plus deux cartes qui donnent directement des ducats et deux cartes donnant des points de victoires. Cette différence n'est cependant pas significative. Une caractéristique de Löwenherz est que les cartes "politiques" (par exemple Renégat ou Alliance) sont dans une pioche à part alors que leurs équivalentes sont disponibles dans la pioche générale à RcdL. Quoiqu'il en soit, les deux systèmes se valent et permettent dans tous les cas des coups bien tordus qui font tout le charme du jeu. Vous avez un Fief qui jouxte un fief adverse peu défendu ? Super, vous allez pouvoir le grignoter avec des actions "Expansion territoriale"... sauf si votre faible voisin joue une carte "Alliance" et là, vous pouvez plus l'attaquer. Ou bien encore mieux : il renverse le rapport de force en sa faveur en jouant "Changement d'allégeance" ; il s'empare alors d'un chevalier de votre fief menaçant pour le placer (à sa couleur) dans celui que vous menaciez et devenir peut-être plus puissant... à présent c'est vous qui risquez quelques pertes territoriales.
Comme écrit plus haut, on peut évaluer le nombre de tours potentiel à Löwenherz (et en tenir compte dans votre stratégie) mais c'est plus incertain à RcdL. En effet, vendre une carte de sa main, c'est la remettre en jeu en la posant face visible sur l'espace Chancellerie. Ainsi, la pioche aveugle des cartes disponibles s'épuise à des vitesses variées selon les parties et les intérêts des participants, car un joueur peut recomposer sa main avec une carte visible de la Chancellerie dont il connait alors l'action et le coût au lieu de piocher sur le tas principal. C'est aspect là n'existe pas à Löwenherz.
Néanmoins, pour moi, c'est bien un match nul. Je pourrais aussi vous parler des aspects financiers qui présentent chacun des difficultés spécifiques mais j'ai été assez long et je ne veux pas tout vous "spoiler" non plus... ce sera à vous de voir à l'occasion. J'espère en tout cas vous avoir un peu convaincu que Richard coeur de Lion n'est pas moins intéressant ou méchant que Löwenherz et vous l'aurez compris, j'aime beaucoup les deux jeux.
\* A ne pas confondre avec le jeu du même nom de A. Chiarvesio édité suite à un KS chez Edge en 2018.