Contre toute attente, Kanagawa respecte très bien son thème, dans son invitation à la poésie par la production d’estampes harmonieuses, sublimées par les pinceaux de Jade Mosch, n’oubliant pourtant pas la rivalité des peintres d’estampes, la nécessité de s’emparer de certains sujets avant les autres ou mieux que les autres. Le remplacement des Points de Victoire par des Points d’Harmonie n’est ainsi pas qu’un gadget thématique comme on en voit tant, mais résulte directement de l’estampe créée, rapprochant en effet d’autant mieux de la victoire que sa contemplation est agréable.
En outre, la simplicité des mécaniques, notamment dans le nombre très limité de choix malgré le malicieux système d’école, ajouté au charme du sujet, en fait à mon avis l’un des grands petits Cathala, extrêmement accessible, plaisant, technique, malin. L’une des preuves de cette réussite est qu’après chaque partie j’avais envie de revoir Cinq Femmes autour d’Utamaro de Mizoguchi et Ivre de femmes et de peinture d’Im Kwon-taek, deux très beaux films sur le métier de peintre d’estampes, sa technicité et la difficulté à trouver l’inspiration malgré la simplicité apparente de ses formes et sujets, la concurrence… Je recommande d’autant plus chaleureusement qu’ils peuvent éclairer la pratique de Kanagawa comme Kanagawa peut en éclairer le visionnage !
L’extension Yokai est clairement à Kanagawa ce que L’Âge des géants était à Kingdomino. L’extension ajoute en effet une part de modularité au jeu de base et en renforce surtout l’interaction par la possibilité de récupérer des pions constituant des malus et de les donner à ses adversaires. Elle ne fait ainsi pas partie des extensions « corrigeant » un jeu ou l’améliorant objectivement, mais de celles avec lesquelles il est plaisant de jouer de temps à autre « pour changer » ou avec un public réclamant un peu plus de contact et de mesquinerie. Comme L’Âge des géants, j’aurais tendance à l’apprécier mieux à deux parce qu’on s’échange les géants/yokais dans une course pour s’en débarrasser le plus tardivement possible, quand l’autre ne pourra plus nous les renvoyer, alors qu’à plus l’arbitraire peut être de la partie pour déterminer à qui on en donne un plutôt qu’à l’autre.
On notera cependant que Cathala et Chevallier ont volontairement limité l’impact des yokai sur le score afin qu’ils ajoutent du piment à Kanagawa sans s’avérer soudain centraux et prendre la place normalement occupée par l’enrichissement de l’estampe et de l’atelier. Ce sont des yokais, des démons mineurs plus taquins que méchants, pas des onis dont on imagine bien l’extension plus déséquilibrée qu’ils auraient provoquée.
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