Les gens pétris de talent ont tendance à m'agacer un tout petit peu.
Et pu qui z'en ont, pu que ça m'agace.
Particulièrement ceux qui transpirent de talent par tous les pores, tellement qui z'en ont que ça dégouline de partout, même que ça en impose un respect sans borne.
Pouah.
Autant dire que dans la hiérarchie des gens qui m'agacent un tout petit peu, Monsieur Ehrhard occupe une place privilégiée dans le haut de la pyramide du panier, parce que le talent, Monsieur Ehrhard, il en suinte tellement plein dans tous les sens que ça lui fait une toile cirée sur laquelle glisse ma jalousie.
Il m'agace tellement que si je devais rééditer un de ses jeux, je ferais une faute d'orthographe exprès dans son nom, et tout le monde rigolerait bien fort, ah ah ah, il serait bien attrapé l'esthète, tiens, je vais mettre un "T" à la fin de "Ehrhard", sur la couverture, allez hop, 10 000 exemplaires de dysorthographie patronymique, alors, il fait tout de suite moins le malin avec tout son talent qu'il a.
Parce que non content de créer des jeux super classes, il faut en plus que Monsieur Ehrhard réalise des illustrations super classes, le tout avec une attitude super classe, une élégance super classe pénible, un raffinement super classe tout à fait déplacé. Un peu comme Monsieur Lalet. Ca m’énerve.
Certains diraient "la classe américaine", ce qui, dans le cas de Boomerang, est une approximation géographique et culturelle manifeste.
Car tout le monde sait que le boomerang est né à Meung sur Loire.
En même temps que le disco.
Bien sûr que c’est vrai, quoi qu’en dise Wikipedia, ce site est un tissu d’inepties, je le sais, je mets à jour leurs articles pour prouver à mes voisins avec qui j’ai parié un apéro que le léopard est un hermaphrodite végétarien. « Ah ben ça alors, j’aurais jamais cru… » me répondent ils en consultant le site encyclopédique depuis leur IPhone et en me resservant un Cacolac… non vraiment, quand vous vous posez des questions fondamentales de ce genre, envoyez-moi plutôt un mp.
Toujours est-il que Boomerang est un bel objet.
Pas l'objet boomerang, le jeu.
Le jeu Boomerang est un bel objet.
Même si l'objet boomerang peut être aussi un bel objet. Mais là tout de suite, ce n’est absolument pas la question. J’ai parfaitement appréhendé votre tentative de noyage de poisson, qui par ailleurs fait partie des bestioles que l’on peut chasser dans Boomerang, et le premier qui demande « mais comment qu’on fait pour chasser un poisson avec un boomerang » et bien je lui répondrais « hahaha ouah l’aut’ hé, il sait même pas chasser un poisson avec un boomerang, hahaha, comment que c’est trop pas un aborigène lui, il doit pas tellement habiter tout près de l’Australie, il risque pas d’être désigné premier joueur »…
Oui, car, dans Boomerang, le premier joueur est celui dont le domicile est situé le plus près de l’Australie.
Cela signifie que les habitants de Nice risquent de débuter avant les habitants de Cherbourg. Il est cependant délicat d’affirmer que cela puisse constituer un avantage.
Les plus chafouins pourraient alors me demander « et qui c’est qui commence la partie quand on ne joue qu’avec des Australiens ».
C’est vrai.
Ils pourraient.
Ils sont comme ça, les chafouins.
D’ailleurs quand on leur explique les règles en cent vingt sept secondes, les chafouins se regardent tous dans le blanc des yeux, l’air incrédule, en se demandant bien où tout cela va les mener :
« Ben alors, c’est tout ? on choisit secrètement son terrain de chasse en début de manche, on chasse en lançant un boomerang à tour de rôle, et quand on décide de s’arrête de chasser, on ramasse tous les boomerangs, et les derniers chasseurs révèlent le terrain qu’ils ont choisi en premiers et récupèrent le gibier présent sur celui-ci ? pas de cube en bois, pas de totem, pas de dés ? »
Et au bout de 2 tours, ils chafouinent plus du tout.
Parce que Boomerang est un élégant avatar du subtil dilemme à base de « est-ce j’essaie de me goinfrer en choisissant le désert où il y a 4 bestioles à chopper, quitte à payer une blinde, ou bien je la joue plus subtile en chassant dans les bois pour n’en prendre qu’une tortue, mais en poussant mes adversaires à se ruiner et en me refaisant un stock de boomerangs, ou même mieux : comme ils vont appliquer ce même raisonnement, je tente un goinfrage dans le désert et je récupère leurs boomerangs mouah hahaha, quel génie machiavélique je suis…» et puis finalement on se vautre, parce qu’on tombe sur un petit malin qui nous a devancé, qu’il soit de Nice ou de Cherbourg d’ailleurs, parce qu’on a finalement changé son plan initial sous prétexte que notre voisin a marqué un temps d’hésitation avant de lancer son boomerang et de faire une razzia sur les kangourous, fichtre, encore raté.
C’est la marque des grands jeux : des principes simples, précis, pointus, affûtés, sans fioriture ni ambiguïté, qui génèrent pourtant une multitude de situations et nous soumettent à des choix paradoxalement simples mais riches, richement simples ou simplement riches… des choix conditionnés par toutes sortes d’éléments : le gibier en place et leur répartition, les bébêtes chez soi et chez les adversaires, le stock de boomerangs des différents protagonistes, la place en début de manche… et puis les joueurs et l’expérience de la tablée… car, à situation semblable, on ne joue pas pareil avec un vieux briscard et un perdreau de l’année.
Ce n’est pas très glorieux à avouer, mais je trouve Boomerang tellement classe que je ne peux que ressentir une certaine forme de mépris vis-à-vis des individu qui ne l’apprécie pas, ce qui constitue à mes yeux une intolérable faute de goût… ça me fait à peu près pareil avec les gens qui n’aime pas la blanquette.
Il est temps à présent de procéder au résumé des points-clés de cet avis :
- des pores,
- une toile cirée,
- le disco,
- un léopard hermaphrodite,
- un Cacolac,
- une blanquette