En bon héritier du Yahtzee, les Très futé sont de purs exemples de hasard raisonné, c’est-à-dire de ces jeux dont la production des variables est strictement aléatoire, mais où les joueurs ont une part active dans l’appropriation de cet aléa, qui n’est ainsi pas tant une fatalité qu’ils devraient subir qu’une imprévisibilité à laquelle ils doivent s’adapter, leur capacité d’adaptation était précisément tout le seul du jeu. On n’essaye pas de nous faire croire que le jeu serait autre chose, rien d’autre n’est mis à notre disposition que des dés, des fiches de score, et en l’occurrence même des feutres, sans aucun habillage thématique. Cela peut à juste titre rebuter au premier abord : un pur jeu de dés, en apparence si froid et à la couverture si… « allemande », en 2018, franchement… Et pourtant, il est difficile de ne pas s’y laisser prendre, tant Wolfgang Warsch met d’astuce à pimenter chaque prise de décision.
Ainsi, aucun dé ne fonctionne comme un autre, à la fois parce que du choix du dé dépend une piste de score spécifique, radicalement différente des autres dans sa conception, et parce que la valeur indiquée est importante à plusieurs niveaux : les pistes de score exigent des valeurs précises, une valeur trop haute peut défausser les autres dés et donc limiter les actions suivantes, du choix du dé dépendra la prochaine action des adversaires. Ainsi un « bête » jeu de dés peut-il se doter d’une puissante dimension tactique et d’une grande part d’interactivité, pour un résultat inattendu tant il parvient à être addictif. En effet, les parties sont extrêmement rapides, après une poignée de lancers, il est déjà temps de calculer son score, alors qu’on est toujours à deux doigts de compléter une grille, de réaliser un combo… Très futé fait ainsi fonctionner d’amusants instincts psychologiques, une excitante frustration qui inspire le désir de rejouer tout de suite et encore pour finir la prochaine fois ce que l’on n’aura pas pu finir cette fois-ci.
Moi qui suis rarement amateur du mode solo des jeux « de société », je me suis même pris au jeu au point de le trouver meilleur dans cette configuration, où l’on lance plus vite les dés et prend plus efficacement ses décisions sans pression du groupe. Difficile pourtant de nier qu’il est tout aussi excellent quel que soit le nombre de joueurs, quand il faut ajouter au choix des dés le sacrifice des autres dés à ses adversaires, ou quand au contraire on tente de profiter au mieux de ce qu’ils ont défaussé, assez infernal.
Wolfgang Warsch réitère le succès brillant de la première boîte avec un Vraiment très futé qui parvient à s’imposer par sa différence face au premier opus, alors même qu’il repose exactement sur les mêmes mécaniques et le même matériel. Peut-être pourra-t-on juger que ses manières de scorer sont un peu arbitraires, et si nombreuses qu’il devient impossible de contrôler tous les paramètres, pour un jeu où l’on se laisse porter au lieu de lutter contre le hasard. Il est en tout cas indéniable que le changement des règles des dés et pistes de score tient de l’exercice.
Si certains préféreront légitimement la plus grande élégance de la première boîte, son accessibilité et sa finesse, on pourra tout aussi légitimement trouver plus de piquant à la deuxième, avec la complexification des combos liée au dé argenté, la prise en compte même des bonus pour scorer… Vraiment très futé s’avère ainsi terriblement plus calculatoire dès lors qu’on a dépassé l’impression d’arbitraire, et s’adresse assurément à un public légèrement plus âgé (presque du 10 voire 12 ans et plus contre du 8 ans et plus). D’un jeu d’ambiance à dimension calculatoire on est passé à un jeu calculatoire à potentiel d’ambiance, offrant des sensations si différentes que beaucoup ont estimé ne plus pouvoir revenir à la première boîte après avoir touché à la deuxième !
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